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rares, anormales, les conversions des mahométans au christianisme ; on a moins observé que le phénomène inverse, le passage de la doctrine du Christ à celle de Mahomet, avait été beaucoup plus fréquent. Toute l’Asie occidentale, la Syrie et l’Asie Mineure, toute l’Afrique septentrionale, l’Égypte et la Berbarie n’en témoignent que trop. Dans l’Europe même, dont les extrémités seules ont été entamées par l’islamisme, les begs de Bosnie, les vrais croyants albanais, les Pomaks ou Bulgares mahométans, les musulmans de Candie et de Crimée, d’origine grecque ou gothique, descendent de chrétiens apostats, tandis qu’il serait difficile de citer un peuple, presque une seule tribu musulmane, qui ait jamais embrassé la foi chrétienne. La raison n’en est pas seulement que l’islam semble adapté à certaines races ou à certain genre de vie, elle est aussi dans la position réciproque, dans le dogme, et pour ainsi dire dans l’âge des deux religions. L’islamisme est une doctrine plus récente que le christianisme et en grande partie tournée directement contre lui ; c’est, au point de vue dogmatique, une foi plus simple, et, en apparence au moins, plus rigoureusement monothéiste, plus dégagée de tout anthropomorphisme.

Le musulman émigré ou dépérit devant le chrétien, il ne se convertit point, et le mélange des deux races ne peut guère avoir lieu que par le passage de l’une à la foi de l’autre. Certes, en Russie, l’exemple ou l’intérêt, le prosélytisme, privé ou officiel, ont depuis trois ou quatre siècles fait au profit du christianisme plus d’une conquête parmi les Tatars[1]. Quelques-unes des grandes familles russes proviennent de cette source, et avec le baptême ont échangé le titre de mourza tatar pour celui de kniaz russe ; mais.

  1. Un onzième environ (40 000 sur 450 000) des Tatars du gouvernement de Kazan a été baptisé par les autorités russes au dix-huitième siècle : ils sont chrétiens de nom ; mais, malgré leur baptême, ils ne se sont pas encore russifiés, ils gardent leur langue, leurs usages particuliers, le plus souvent même leur foi au Coran. Voyez tome III, liv. III, ch. iii.