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case, l’émigration des Tatars et des Nogaïs a repris sur une immense échelle, en même temps que celle des Tcherkesses. Dans la Crimée, on peut calculer que, depuis la conquête de Catherine II, la population tatare, diminuée déjà de plus de moitié du temps de la tsarine, a été encore de nos jours réduite de plus des deux tiers, en sorte qu’elle ne forme pas le cinquième de ce qu’elle était lors de l’annexion à la Russie. De 1860 à 1863, près de 200  000 Tatars ont quitté le gouvernement de Tauride, abandonnant 784 aouls ou villages, dont les trois quarts sont demeurés déserts comme les despoblados laissés par l’expulsion des Maures sur les cartes d’Espagne. Depuis l’introduction du service militaire obligatoire, en 1874, cette sorte d’exode a recommencé. Par la défaite et l’exil volontaire, en dehors même de toute absorption et de tout mélange, les Tatars ont été ainsi réduits à ne plus former que des groupes minimes, que des îlots inoffensifs dans les pays où ils avaient régné des siècles, dans ceux même, comme la Crimée, dont ils étaient, il n’y a guère que cent ans, les seuls habitants.

Des exemples récents nous montrent la diminution naturelle et spontanée de l’élément tatar et mahométan en Russie ; l’exemple voisin de la Turquie d’Europe, où, jusqu’à l’émancipation des principautés danubiennes, les Musulmans ne formaient que le tiers ou le quart de la population, nous fait voir que, au temps même de leur souveraineté, les Tatars ont pu, dans leur propre empire, être en minorité numérique. La marche suivie par ces envahisseurs et la position actuelle des groupes tatars le long des fleuves, dans des pays déjà occupés par les Finnois, donnent à penser qu’ils n’ont été en majorité qu’autour de leurs capitales du Volga et dans les contrées, comme la Crimée et les steppes du sud-est, destinées par la nature à la vie pastorale. Le chiffre des armées des khans, au temps de leur puissance, ne doit pas faire illusion sur le nombre de leurs sujets. Dans ces armées tatares, tout homme valide accourait au