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Russie comme en Espagne, les motifs de séparation entre les vainqueurs et les vaincus restaient les mêmes au temps de la domination de la croix qu’au temps de sa sujétion ; ils se résumaient dans la religion, qui entre les deux races mettait une barrière difficile à franchir : de l’une à l’autre, avant comme après la libération du sol national, il n’y avait qu’un chemin, l’apostasie. Si la prédication et l’intérêt ont fait des conversions parmi les musulmans de Russie, parmi les Hourzas ou chefs tatars surtout, il s’en est dû faire bien davantage parmi les musulmans d’Espagne, soumis pendant de longues années au prosélytisme le moins scrupuleux, jusqu’au jour où ils n’ont pu conserver leur foi qu’au prix de leurs biens et de leur patrie. En Russie, jamais pareil choix n’a été imposé aux mahométans. Pour diminuer dans leurs États la puissance de l’élément tatar, les tsars n’ont point eu besoin de recourir à de telles barbaries. Ce qui s’est fait violemment en Espagne, à son éternel dommage, s’est fait lentement, graduellement pour la Russie. Elle n’a guère eu qu’à laisser opérer la nature.

À côté du phénomène d’absorption, d’assimilation des éléments finnois, il y a eu chez elle pendant des siècles un phénomène inverse de sécrétion, d’élimination des éléments tatars et musulmans qu’elle ne pouvait assimiler. Depuis leur soumission, un grand nombre de Tatars ont quitté la Russie, né voulant pas être les sujets des infidèles dont ils avaient été les maîtres. Devant le progrès des armes chrétiennes, ils se sont repliés spontanément sur les terres où dominait encore la loi du prophète. Après la destruction des khanats de Kazan et d’Astrakan, ils tendent à se concentrer dans la Crimée et les steppes voisines, dans ce que le dix-huitième siècle appelait encore la Petite-Tartarie. Après la conquête de la Crimée par Catherine II, ils ont repris leur exode vers l’empire de leurs frères osmanlis, vers la Turquie et la Circassie, et de nos jours même après la guerre de Sébastopol et la soumission du Cau-