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À côté de cette question de la filiation et de la valeur native du peuple russe s’en place une autre tout aussi importante pour le politique, celle du degré de cohésion de ce vaste empire. L’unité physique du sol ne suffit pas pour assurer l’unité politique, il faut aussi l’union matérielle ou morale des populations, une certaine parenté du sang ou de l’esprit, sans quoi pas d’unité nationale. Y a-t-il en Russie, comme en France ou en Italie, une nationalité compacte, fortement cimentée par l’histoire, ou bien est-ce, comme la Turquie d’hier ou l’Autriche d’aujourd’hui, une marqueterie de peuples hétérogènes ayant chacun ses traditions et ses intérêts ?


Le sol russe est fait pour l’unité. Nulle part il n’y a sur une telle surface une telle homogénéité ; en même temps nulle part il n’y a plus de races diverses. Le contraste, qui se montre partout en Russie, est à cet égard des plus frappants. L’aire géographique la plus uniforme est occupée par les familles humaines les plus différentes. Races, peuples, tribus s’y enchevêtrent à l’infini, et leurs divisions sont accusées et rehaussées par la diversité du genre de vie, des langues, des religions. On y trouve toutes les confessions chrétiennes, — des orthodoxes, des arméniens, des catholiques, des protestants, avec des sectes inconnues de l’Occident ; on y rencontre toutes les croyances de l’Asie avec celles de l’Europe, — juifs talmudistes et karaïtes, mahométans sunnites et chiites, bouddhistes, chamanites et païens de toute sorte. La seule énumération des diverses races de la Russie d’Europe est effrayante ; on n’en compte pas moins d’une vingtaine, et si l’on ne veut oublier aucun groupe, aucune peuplade, il faut doubler ou mieux tripler ce chiffre.

Nous possédons plusieurs cartes etnnographiques de la Russie ; l’une, celle de M. Rittich, est à la fois récente et excellente[1]. Les Russes ont fait plus : dans le musée Dach-

  1. Cette carte offre 46 couleurs ou signes différents ; publiée en 1877 ou