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un conseil de guerre. La chose se fait, autant que possible, sans bruit ; les journaux ont ordre de garder le silence sur toutes les affaires de ce genre. En 1886, par exemple, il y avait une émeute de paysans dans le gouvernement de Penza. En 1887, c’était dans le gouvernement de Riazane ; en 1888, dans le gouvernement de Kazan. Et, chaque fois, la troupe a dû donner ; les chefs des mutins ont été jugés par des commissions militaires. L’abolition officielle de la peine capitale ne les a pas empêchés d’être condamnés à mort. On m’assure qu’on a ainsi parfois pendu des douze et quinze paysans d’un coup. Avec moins de sévérité, peut-être aurait-on du mal à maintenir la paix sociale.

Quant à croire, comme le proclamaient naguère encore beaucoup de ses panégyristes, que la propriété collective est un sûr antidote contre le poison révolutionnaire, qu’avec elle, la Russie est certaine de rester indemme de toutes les épidémies politiques, c’est là un préjugé dont les innombrables complots et les audacieux attentats des dernières années d’Alexandre II n’ont que trop démontré l’ingénuité. Les mines et les bombes, la nitroglycérine et la dynamite se sont chargées de désabuser les plus confiants. Contre la sape du nihilisme et les explosions révolutionnaires, le mir moscovite est une assurance manifestement insuffisante. Après l’assassinat du libérateur des serfs, un Russe ne peut plus soutenir que tous les troubles périodiques de l’Occident proviennent de notre mode de propriété, que les questions sociales engendrent seules les révolutions, que, pour échapper aux commotions violentes, la Russie n’a qu’à mettre la terre à la portée de tous.