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existe dans l’ancienne Moscovie, est en effet un facile moyen de s’emparer du sol au profit des masses, c’est le seul procédé pratique, encore connu, pour appliquer à la terre les théories du partage égal, sans voir l’inégalité renaître du partage même. Ailleurs, le plus grand obstacle à toute tentative communiste agraire est dans les mœurs ; or, grâce au mir, les mœurs du peuple ne s’y opposent point.

De ce que les communautés de village pourraient, à certaine heure, servir d’instrument ou d’appât aux révolutionnaires, faut-il conclure qu’elles doivent au plus tôt être abolies législativement, comme pernicieuses pour la société ? Nullement, à notre avis, car, en voulant ainsi prévenir le mal, on courrait grand risque de l’aggraver. Ce qui peut, à tel moment, offrir à la propagande anarchique une prise sur le paysan, c’est moins en effet le mir lui-même, que les vagues notions répandues dans le peuple par les usages du mir ; or, ces idées, ces confuses aspirations ne peuvent être étouffées par un oukaze supprimant les communautés de village. Tant que l’antique mode de tenure gardera les sympathies des paysans, le gouvernement ne saurait porter la main sur le mir sans violenter les mœurs et la conscience juridique du peuple des campagnes, par suite, sans s’exposer lui-même un jour à de périlleuses revendications[1].

Les Russes se plaisent à nous représenter la propriété collective comme un remède souverain, un spécifique infaillible contre le socialisme et le communisme ; si le mir a cette vertu, c’est conformément à la méthode qui,

    des Deux Mondes du 15 mai 1876), plus d’un procès politique a montré que de pareilles appréhensions étaient loin d’être chimériques.

  1. Sur ce point, je crois fondée, au moins en partie, l’asserUon du prince Vasiltchikof, alors que dans sa polémique avec moi, à propos du socialisme agraire, il écrivait les lignes suivantes : « Nous prétendons que le mir russe, sans être une arche sainte, est une corde très sensible, à laquelle il serait tout aussi dangereux de toucher, en Russie, qu’à la propriété privée en Europe. » Lettre du 14-26 mars 1879, Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1879.