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chaque famille, le nombre des enfants qui doivent partager le domaine paternel. À notre sens, ce serait peut-être là le plus sérieux reproche qu’on lui puisse faire. Au-dessous de la question de propriété, nous découvrons ainsi le problème de la population[1].

À cet égard, les deux modes de propriété ont des effets inattendus et presque également outrés en sens inverse. Il n’y a pas encore un siècle qu’Arthur Young écrivait que, avec notre régime de propriété, la France deviendrait bientôt une garenne de lapins. Les faits ont montré combien ces craintes de multiplication excessive étaient vaines. En limitant l’accroissement de la population, notre régime agraire tend à mettre des bornes au morcellement même du sol qu’on l’accusait de devoir porter à l’infini. Il en est tout autrement de la propriété collective ; en stimulant la reproduction de la population, elle restreint sans cesse la part du sol attribuable à chacun, elle coupe et émiette de plus en plus les terres, en sorte qu’à la longue elle risque de se rendre elle-même impossible ou illusoire.

Si faible qu’y semble la densité de la population, dans les gouvernements même les plus peuplés, les effets de cette loi naturelle se font déjà sentir dans beaucoup de contrées de la Russie. Dans nombre de communes, les paysans se trouvent à l’étroit, les lots accordés au moujik lors de l’émancipation sont déjà notablement réduits, et, à chaque partage, ils deviennent plus exigus ; le mal s’aggrave avec les années et l’accroissement de la population. Les communautés de village, grâce, en grande partie, il est vrai, aux défauts de leur exploitation, étouffent sur des terres qui souvent, en Occident, suffiraient à un nombre

  1. On sait qu’on a vu là, non sans raison, une des causes qui rendent la population de la France presque stationnaire. Le même phénomène a pu être signalé en d’autres pays, dans des circonstances analogues. En Belgique, par exemple, M. E. de Laveleye a remarqué que les deux provinces du royaume où la propriété est le plus divisée, les Flandres, sont celles où l’accroissement de la population est le moins rapide. La Suisse donnerait lieu à des observations du même genre.