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communes de paysans, et les adversaires du régime actuel sont peut-être fondés à dire que ce régime même en a tué le germe dans le paysan et la commune.

En résumé, je n’oserais, pour ma part, affirmer que le mode de propriété des âges primitifs est absolument incapable de s’adapter aux besoins du monde moderne. De toutes les objections adressées à la propriété collective, la plus forte à mes yeux est précisément celle que fournit l’antiquité même de la tenure commune du sol.

S’il était utile aux habitants et conforme à la loi naturelle du progrès, comment le régime de la communauté a-t-il presque entièrement disparu des pays les plus riches et les plus civilisés ? Cette décadence ne saurait s’attribuer à des circonstances fortuites. Lorsqu’une institution, qui a existé autrefois sur de vastes espaces, ne se retrouve plus qu’à l’état de vestiges, dans quelques contrées isolées, n’est-on pas tenté de la croire inconciliable avec le développement des sociétés humaines ? — C’est là, on ne saurait le nier, un sérieux motif de douter de l’avenir de la propriété commune. Quelle qu’en soit la valeur, cette objection n’est toutefois pas décisive. Rien ne démontre qu’un procédé économique de l’enfance des sociétés ne puisse être rajeuni et approprié à l’esprit d’une civilisation déjà mûre. Ne pourrait-on pas découvrir dans les lois ou les coutumes de l’Europe moderne, dans le jury par exemple, plus d’une trace qui remonte aux barbares ? Et quand cela ne serait point, n’y a-t-il pas quelque témérité à interdire aux sociétés humaines toute voie en dehors des routes frayées, ou à prétendre que tous les peuples doivent exactement passer par les mômes étapes ?

Dans le monde moderne se livre, depuis la révolution française, un grand combat. Deux principes ennemis, parés de noms et de titres divers, l’un ramenant tout à l’individu, l’autre tout à la communauté, se font une guerre dont nul ne saurait prévoir l’issue. À une époque où l’on parle tant d’association et de coopération, où des millions d’êtres