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à toutes les attaques et à toutes les conquêtes de sa rivale.

À cet égard, la propriété commune, qui est inaliénable, constitue au profit des paysans une sorte de majorat ou de bien défendu, comme disent les Russes, avec cette différence que le majorât n’assure que l’avenir des aînés de la famille, tandis que l’héritage communal profite à tous les habitants du village. En plusieurs régions de la Prusse et de l’Allemagnc, dans les provinces Baltiques même de la Russie, la loi ou la coutume applique, aux terres du paysan, les prérogatives et les entraves légales, ailleurs mises exclusivement au service de la noblesse : le paysan, comme le noble, a ses terres réservées qu’il ne peut aliéner[1]. En Russie, le majorat du moujik est collectif ou corporatif au lieu d’être individuel, il s’étend à la classe entière et non à quelques-uns de ses membres. Dans les deux cas, les garanties sont du même genre, dans les deux cas, les générations à naître sont protégées contre les dilapidations ou l’imprévoyance des vivants, et l’enfant contre les conséquences des vices de ses pères. Du moujik de la Grande-Russie on peut dire, comme du lord anglais, qu’il hérite de la richesse de son père et n’hérite point de son indigence. Il est un degré de pauvreté ou d’infortune au-dessous duquel un père ne peut laisser tomber ses descendants, ou un homme se précipiter lui-même. Aux déshérités le mir offre un asile. C’est ainsi que le considèrent parfois les paysans eux-mêmes, et c’est pour cette raison que les moujiks aisés, devenus propriétaires individuels, hésitent à abandonner leur commune. S’ils ne peuvent cultiver leur lot, ils le cèdent ou le louent à d’autres, regardant les terres du mir comme un en-cas

  1. Entre le domaine réservé du paysan et les terres seigneuriales, il y a parfois cette différence que, en certains villages d’Allemagne comme en quelques communes de la Suisse, le bien du père passe au dernier né et non à l’aîné des enfants ; le majorat devient alors minorat. Droits d’ultimogéniture et de primogéniture ont du reste les mêmes effets.