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vierges et surtout de capitaux, un rival incomparablement mieux outillé et moins chargé d’impôts et d’entraves de toute sorte. Pour le grand empire rural, dont l’agriculture est sans comparaison la principale industrie et dont le sol semble déjà parfois prématurément épuisé, c’est là un sérieux sujet de préoccupation. Ce qui fait la supériorité des États-Unis d’Amérique, ce n’est pas tant la fertilité et l’étendue du sol arable, — la Russie aussi a son Far-West dans la Sibérie méridionale qu’il est aisé de relier à l’Europe par des chemins de fer ou des canaux, — ce qui fait l’infériorité de la Russie, ce n’est pas seulement l’imperfection de l’outillage et des voies de communication, c’est avant tout l’ignorance et la pauvreté du peuple, et, pour remédier à ces défauts, il ne suffit pas, je le répète, de faciliter les achats de terre des paysans ni d’accroître leur nadêl. À moins que la Russie ne se résigne à vivre entièrement sur elle-même, à renoncer à tout échange avec l’Occident et à ne nous plus emprunter les capitaux dont elle a si grand besoin, le moujik et le poméchtchik du Don et du Volga doivent compter avec les farmers du Mississipi. Cette concurrence américaine, jointe aux mauvaises récoltes ou aux disettes des dernières années, est une nouvelle menace pour l’antique régime agraire, pour le mir et la communauté qui, devant beaucoup de Russes, risquent d’être rendus responsables des défaites de l’agriculture nationale.

Aujourd’hui, cependant, avec les idées et les préjugés répandus dans le peuple, l’abolition des communautés de villages ne saurait, croyons-nous, beaucoup améliorer les conditions de l’agriculture russe, car elle ne changerait guère les méthodes de culture. Quelque opinion qu’on ait sur le régime de la tenure collective, ce qu’il faut modifier pour accroître la production, c’est moins le mode de propriété que l’homme, le cultivateur lui-même. Or, un pareil changement des mœurs, des coutumes, des notions agricoles et usuelles, chez des masses rurales aussi énor-