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tième siècle elle était encore moins peuplée que la France de Louis XV, et au commencement du dix-neuvième siècle, moins peuplée que l’empire d’Allemagne aujourd’hui[1]. À prendre les recensements successifs et à examiner ses statistiques, la Russie est un pays en train de se peupler ; C’est, à beaucoup d’égards, une vraie colonie, et ce fait a une importance capitale pour qui veut sérieusement mesurer et ses ressources et ses difficultés. La Russie est une colonie, et, à vrai dire, toute son histoire n’est que l’histoire de sa colonisation. Ce fut d’abord le tour de l’Ouest, puis du Nord et du Centre ; aujourd’hui c’est le tour du Sud et de l’Est. Les bassins inférieurs du Dniepr, du Don, du Volga, sont comparables sous ce rapport à ceux du Mississipi et du Missouri, l’Est russe, à l’Ouest Américain. Le caractère colonial se montre dans les dates, de la fondation des villes, comme dans la rapidité de leur progrès et dans leur aspect même. Sébastopol, Kherson, Nicolaïef, Kharkof, Taganrog, Rostof, Saratof, Samara, Perm, Orenbourg, la plupart des chef-lieux de gouvernement ou de district du Sud et de l’Est, sont plus jeunes que les capitales des États de l’Atlantique dans l’Amérique du Nord. Odessa, créée par le duc de Richelieu, a moins d’un siècle, et déjà, autant d’habitants que Rouen et le Havre mis ensemble. La Nouvelle-Russie, dont Odessa est la capitale, est aussi bien nommée qu’aux États-Unis la Nouvelle-Angleterre, et la colonisation en est bien autrement moderne. À peu près déserte au commencement du siècle, cette contrée a peut-être décuplé de population en moins de cent ans. Le dé-

  1. Les « revisions », effectuées à des intervalles irréguliers, uniquement pour connaître la population taillable, ne dénombraient que les mâles des classes soumises à l’impôt personnel. Aussi ne peuvent elles fournir que des données approximatives Ces revisions supposent pour la population totale de l’empire, dans ses dimensions successives, 14 ou 15 millions d’âmes en 1723 ; 16 ou 17 en 1742 ; 19 ou 20 en 1762 ; 28 ou 30 en 1782 ; 30 en 1796 ; 41 en 1812 ; 45 en 1815 ; 65 en 1835 ; 68 en 1851 ; 75 en 1858. Voy. Schnilzler : Empire des tsars, t. II, p. 57 et suiv. En 1889, on calculait que le chiffre de la population s’élevait déjà à plus de 110 millions.