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au contraire les paysans laborieux et aisés ? Dans l’enquête agricole et ailleurs se rencontrent, sur ce point, les affirmations les plus opposées. On représente aujourd’hui les paysans, comme divisés en deux classes, d’ordinaire sans intermédiaire, les riches et les pauvres. Vers quelle pente inclinent les uns et les autres ? L’opinion la plus fréquente considère les premiers, ceux mêmes qui se sont enrichis avec le régime actuel, comme en étant généralement les adversaires ; les seconds, au contraire, ceux qui n’y ont trouvé que la misère, comme en étant les plus chauds défenseurs. Les plus aisés, étant les plus industrieux ou les plus travailleurs, seraient pour le mode de propriété qui leur assurerait le mieux le fruit de leur travail ; les plus imprévoyants ou les plus paresseux, pour celui qui leur garantit l’existence la plus facile.

À prendre les enquêtes agricoles, il s’en faut cependant que partisans et adversaires de la commune soient partout distribués de cette sorte. Tel déposant, un gouverneur de Koursk entre autres, nous dit bien que ce sont les plus aisés qui réclament la dissolution de la communauté, que parfois même ils adressent dans ce dessein des pétitions au gouvernement ; mais, dans la même enquête, de nombreux propriétaires nous viennent répéter que quelques riches paysans sont seuls à profiter de la communauté, que ces oligarques de village, tenant tout le mir sous leur dépendance, usent de leur autorité pour maintenir le régime qui leur permet d’exploiter leurs associés. Un déposant, H. Jéréméief, va même jusqu’à dire que, grâce à la tyrannie de ces mangeurs de la commune, de ces miroiédy, un pouvoir, placé au-dessus de la communauté, en peut seul prononcer l’abrogation. Pour faciliter la dissolution du mir, une commission de la noblesse de Saint-Pétersbourg proposait naguère d’en exclure les mauvais sujets et les contribuables en retard. Au projet pétersbourgeois un écrivain moscovite répondait que les vauriens, les paresseux, les ivrognes, étaient précisément les plus enclins