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partage dénnitif. C’est d’abord l’agglomération des demeures, chacun appréhendant d’avoir à jamais un lot trop éloigné du village où tous habitent. C’est aussi la crainte de tomber sur un mauvais lot, sans avoir comme aujourd’hui la chance d’être dédommagé par le sort à un prochain tirage. Dans le gouvernement de Tver, par exemple, l’enquête agricole cite une commune ayant passé à la propriété individuelle, où beaucoup de paysans se plaignent de la part qui leur est échue. Un autre motif de répulsion pour la propriété personnelle est tiré des mœurs communistes du mir. Dans le partage définitif, les paysans redoutent l’inégale multiplication des familles, qui, en une ou deux générations, rendrait naturellement les lots inégaux. Enfin, là où les taxes sont supérieures au revenu, les paysans craignent, en renonçant à la communauté, de rester chargés d’un lot trop grand et d’impôts trop lourds ; là, ce qu’ils redoutent, ce n’est pas l’inégalité dans la propriété, résultant de l’inégal accroissement des familles, c’est au contraire un excédent de terre et d’impôts, à la suite de morts ou de maladies dans la maison[1]. En somme, la plupart des moujiks sont encore attachés à l’ancien mode de jouissance, tout en reconnaissant souvent les inconvénients des partages périodiques. Parmi les propriétaires interrogés par la commission d’enquête, plusieurs déclarent qu’ils ont en vain tenté d’amener leurs paysans à un partage définitif ; j’ai moi-même entendu des hommes, fort opposés au régime actuel, faire le même aveu.

Il est, du reste, difficile de connaître avec précision l’opinion des paysans sur ce sujet qui les touche de si près. Quels sont dans le mir les partisans de la communauté ? Sont-ce les paresseux, les ivrognes, les imprévoyants, ou

  1. « Si mauvais que soient les partages, répondait un ancien de village aux questions de la commission d’enquête, ce serait bien pis s’il n’y en avait pas du tout. Celui dont la famille diminuerait ne pourrait plus cultiver les terres et payer les taxes. »