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rappeler que, depuis les lois agraires de 1861, l’accroissement de la population a été considérable et a réduit d’autant le lot de chaque âme ou de chaque famille.

Quoi qu’il en soit de toutes ces différences et inégalités, on ne saurait regarder, comme voués fatalement à la misère, des paysans qui possèdent chacun en moyenne quinze ou vingt hectares de terre ; qui, dans les provinces même les plus riches ou les plus peuplées, possèdent encore une dizaine d’hectares, et qui, dans leur voisinage, ont des champs pour lesquels on se dispute leurs bras. Il est difficile de considérer l’étroitesse du nadêl du moujik comme la principale raison des souffrances des campagnes et de l’agriculture. Parmi les défenseurs même du mir, plusieurs, et non les moins éclairés, tels que M. Kochelef et le prince Vasiltchikof, ne font pas difficulté de le reconnaître[1]. Ce n’est point là qu’est le principe du mal : si le lot du paysan paraît si souvent insuffisant, cela même tient en grande partie à l’imperfection des méthodes agricoles. C’est l’ignorance et la pauvreté du serf affranchi, c’est son défaut de capital intellectuel et matériel, c’est le manque de bétail et de moyens d’exploitation qui l’empêchent de tirer un meilleur parti de son champ ; et cette pauvreté du moujik ou, si l’on veut, cet appauvrissement des campagnes retombe pour une bonne part sur l’excès des charges fiscales[2]. C’est là qu’est vraiment le principal vice de la situation agraire ; c’est dans la disproportion entre les ressources du paysan et les impôts dont il est frappé, dans la disproportion entre l’étendue ou la valeur du nadêl et le poids des redevances qui grèvent le sol ; et le mal est tel que les dégrèvements, déjà effectués ou promis par l’empereur Alexandre III, n’en sauraient triompher. La terre qu’on a donnée à l’ancien

  1. Voyez, par exemple, Vasilichikof : Zemlevladenie, t. II, p. 649, 673.
  2. M. Ianson, Opyt statisti isslédov, etc, 1881, donne à cet égard des chiffres attristants, et sous ce rapport, les publicistes russes des diverses écoles sont malheureusement obligés d’être d’accord.