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sûrs que les communautés de village seront plus fermées au progrès que l’héritage personnel de paysans ignorants et routiniers ?

— Et les entraves apportées à l’activité individuelle, reprennent les accusateurs du régime collectif, ne sont-elles point le fait de la communauté ? N’est-ce pas elle qui, dans nos campagnes, décourage toute initiative et par là énerve le travail et stérilise le sol ? La sécurité même, que donne au paysan la certitude d’avoir toujours un lot, ne tourne-t-elle point souvent au profit de l’indolence, au profit de l’imprévoyance et de l’ivrognerie ? N’est-il pas vrai qu’assuré d’avoir toujours et quand même un coin de terre, le moujik fait peu d’efforts pour accroître son bien-être ?

— Cela encore peut être vrai, répliquent les apologistes du mir, mais de telles habitudes de paresse, longtemps fomentées par le servage, se rencontrent en d’autres pays, sous un régime de propriété, comme sous un climat tout différents de celui de la Russie. Le remède, chez nous, de même que dans le sud de l’Italie ou de l’Espagne, est moins dans le changement du mode de tenure que dans le développement de l’instruction, dans le développement des besoins de consommation, dans les progrès du bien-être. En quoi la propriété indivise du fonds enlève-t-elle au cultivateur l’indispensable aiguillon de l’intérêt personnel ? Dès que, grâce aux partages, la jouissance de la terre commune est individuelle, il n’y a nulle application du principe desséchant de l’égale rémunération des travailleurs, indépendamment de leurs mérites et de leurs labeurs ; chacun est récompensé suivant ses œuvres, chacun peut librement frapper aux deux grandes portes de la richesse, le travail et l’épargne. Pour qu’il donne tous ses soins et toutes ses forces à la culture du sol, est-il donc indispensable que le cultivateur en soit propriétaire, bien plus, qu’il en soit propriétaire personnel et héréditaire ? Ne suffit-il pas que la jouissance lui en soit assurée, pendant un laps de temps assez long pour qu’il soit certain de