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ailleurs comme un tyran au joug insupportable. Pour s’y dérober, beaucoup des paysans les plus aisés cherchent à sortir de la communauté. La distribution facultative des terres, admirée de quelques-uns comme le chef-d’œuvre du génie populaire, est considérée, par plusieurs même des apologistes du mir, comme une ingénieuse mais dangereuse coutume qui, pour ne pas dégénérer en abus, aurait besoin d’être réglementée par l’État[1].

Le fait est qu’avec l’arbitraire, l’intrigue et la corruption ont trouvé moyen de faire brèche à ce régime, en apparence d’une si stricte équité. Les enquêtes agricoles sont à cet égard l’écho de plaintes qui, pour venir généralement de fonctionnaires ou de propriétaires étrangers au mir, ne peuvent être dédaignées. Ces petites démocraties autonomes sont exposées à deux fléaux contraires, à la tyrannie de la foule et à la tyrannie des individus. Tantôt c’est la masse, ce sont les pauvres qui font la loi aux riches, leur attribuant d’autorité des lots supplémentaires, avec un supplément de taxes, faisant ainsi payer aux gens aisés les contributions des pauvres. Dans le nord, où l’industrie et le commerce sont fréquemment les principaux moyens d’existence des paysans, il n’est pas rare de voir des communes imposer à un artisan plus habile ou à un commerçant plus heureux doux lots de terre, c’est-à-dire double contribution, ce qui en somme revient à une sorte d’impôt sur le revenu ou le capital. Tantôt au contraire, ce sont les riches qui, par corruption ou intimidation, font la loi au nombre, s’emparent des meilleurs fonds, créent, au sein et aux dépens du mir, une sorte d’oligarchie oppressive. Ce dernier vice, bien qu’en apparence moins en rapport avec la constitution du mir, semble en ce moment le plus fréquent ; c’est du moins celui dont se plaignent le plus les

  1. Le prince Vasilichikof (Zemlévladênié, t. II, p. 770, 774), grand admirateur de ce mode de partage, voudrait qu’on le réglementai législativentent sans s’apercevoir combien, en pareil cas, tout règlement serait difficile et peut-être inefficace.