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d’autres causes dans le climat et la nature du sol russe. Au sud et à l’est, là où les terres sont le plus fertiles, c’est la rareté de l’eau et des sources ; partout, c’est la difficulté des communications aux époques de dégel, au printemps ou à l’automne, sans compter la crainte des vols ou des meurtres. Ces gros villages russes sont aujourd’hui un des principaux obstacles à l’établissement de la propriété individuelle, qui, avec ce système de maisons agglomérées, ne saurait avoir tous ses avantages. La culture est, en effet, dans une dépendance presque aussi étroite du mode d’habitation que du mode de tenure. Dans un pays, où la population est peu dense et où les distances sont grandes, la propriété individuelle ne peut avoir tous ses effets utiles que si le cultivateur, avec son matériel et ses bestiaux, réside au milieu de ses champs. Or, dans la Grande-Russie, les fermes, les habitations isolées, appelées du nom de khoutory, sont presque entièrement inconnues ; elles sont encore rares, même chez le paysan ayant acheté des terres en propre. Il ne s’en rencontre guère que dans la Petite-Russie, dont à cet égard les mœurs sont fort différentes, où les partages, alors même que la terre est commune, se font plutôt par maison ou par cour (dvor) que par âme ou par unité de travail (tiaglo).

Une bonne part des inconvénients, reprochés en Russie au régime des terres communes, tient en réalité au régime des agglomérations rurales. Or, pour substituer à ces gros villages, à ce que les Allemands appellent le Dorfsystem, des fermes isolées, il ne suffirait point d’abolir la tenure collective de la terre. La substitution d’un mode d’habitation à un autre est partout chose difficile, longue, dispendieuse ; elle le serait peut-être encore plus en Russie qu’ailleurs. On a parfois proposé de profiter des fréquents incendies de villages pour disperser les habitations. Il y aurait à cela un autre avantage : l’éloignement des maisons réduirait les pertes régulièrement infligées à la Russie par les centaines ou les milliers de villages qui chaque année