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teront les sujets du tsar ? Quelle sera la population de cet État, le plus vaste du globe, et pour son étendue encore l’un des moins peuplés ?

Un fait frappe d’abord les yeux, c’est l’inégale densité de la population. En Europe même, dans la Russie proprement dite, il y a des districts ruraux qui, pour une même superficie, sont cent fois plus peuplés que d’autres. Deux grands ordres d’influences ont présidé à cette inégale répartition des habitants : les conditions historiques et les conditions physiques ; celles-ci permanentes, essentielles, celles-là transitoires, accidentelles, et par conséquent devant s’effacer devant les autres. L’histoire, grâce à leur situation géographique, a longtemps fait aux deux grandes zones de l’empire des destinées peu en accord avec la nature du sol et le climat. Confluant aux steppes de l’Asie centrale, la zone déboisée a été la première exposée, la dernière arrachée aux invasions des nomades asiatiques. De là est venu pour la Russie un développement anormal de ces deux régions et une distribution de la population en quelque sorte artificielle. En dehors de l’ouest, auquel l’éloignement de l’Asie a fait un sort à part, les régions les plus fécondes ont été les dernières habitées, les dernières cultivées. L’agriculture, et par suite, la richesse et la civilisation ont été des siècles avant de pouvoir fleurir à la place que la nature leur avait marquée. Repoussés du sud par les incursions des nomades, les Russes ont été relégués dans les régions du nord, incapables de nourrir une grande population, une grande civilisation[1]. Encore très sensibles an dix-huitième siècle, les effets de cette anomalie s’effacent rapidement. Déjà la moitié méridionale de l’empire contient beaucoup plus d’habitants que la moitié septentrionale ; des contrées du tchernoziom, en grande

  1. Il fallait toute l’ignorance occidentale sur la Russie pour parler « de renvoyer les Russes dans leurs steppes, d’où ils n’eussent jamais dû sortir ». Loin de venir des steppes, les Russes n’y ont mis le pied qu’à une époque relativement récente.