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en se signant un isvochtchik (cocher) de Moscou, feu mon père était un homme sage et honnête, il n’avait qu’un défaut : il aimait trop ses belles-filles ! » Aujourd’hui, les jeunes ménages peuvent plus aisément se soustraire à ces droits paternels, la vie domestique se purifie en s’isolant.

Les habitudes patriarcales concouraient, avec le servage, à la corruption des mœurs et, en même temps, à l’abaissement de la femme, dont la situation inférieure est le plus mauvais côté de la vie populaire en Russie. Là, comme partout, le despotisme domestique amenait la servitude des femmes. Dans les hautes classes, la femme est, par l’éducation, par l’instruction et les mœurs, l’égale de l’homme, souvent même elle lui est ou lui semble supérieure. Dans le peuple, chez le marchand et le paysan, il en est tout autrement ; nulle part ne se manifeste plus clairement le dualisme moral, encore sensible entre la Russie des successeurs de Pierre le Grand et la vieille Moscovie. Le peuple a gardé les idées, les habitudes de l’ancienne Russie, et c’est par ce côté surtout qu’il se ressent des mœurs asiatiques ou byzantines. L’infériorité de la situation des femmes, soumises à d’ignominieuses pratiques lors de leur mariage et à d’ignobles traitements de la part de leurs maris, le mépris du sexe est une des choses qui ont le plus choqué les voyageurs étrangers, du seizième au dix-huitième siècle, de l’Allemand Herberstein, qui le premier a révélé à l’Europe l’intérieur de la Moscovie, jusqu’à l’académicien français Chappe d’Auteroche, dont l’impératrice Catherine II prit la peine de réfuter les assertions[1]. C’est Herberstein, en cela peut-être assez suspect, qui, dans ses Rerum moscoviticarum commentarii, raconte l’histoire, tant répétée depuis, de la femme russe, épousée par un Allemand et se plaignant de n’être point aimée de son mari, parce qu’elle n’en était pas battue. Un proverbe populaire dit, en effet :

  1. Dans l’Antidote ou examen du mauvais livre intitulé : Voyage en Sibérie, etc. Ouvrage attribué à la Tsarine.