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sait avant tout sur des relations personnelles d’affection et de sympathie, sur le sang et la parenté[1]. À cette question, souvent tranchée d’une manière exclusive, dans un sens ou dans l’autre, la meilleure réponse, nous semble t-il, c’est que la famille véliko-russe est, comme presque partout ailleurs, fondée à la fois sur l’un et l’autre principe, et que l’un ou l’autre prédomine selon le côté qu’on envisage. Si c’est une société, c’est une société fermée où l’on n’a d’ordinaire accès que par le mariage ou la naissance.

Il est certain que, chez le moujik, le mariage et l’entrée en ménage ont, de tout temps, été déterminés principalement par des considérations d’utilité et d’intérêt. En aucune contrée peut-être, les penchants personnels, le cœur et l’amour n’ont moins de part aux mariages du peuple des campagnes. Mais la Russie est-elle le seul pays où, dans la fondation de la famille, interviennent de pareilles préoccupations, lesquelles, après tout, n’excluent pas nécessairement les rapports engendrés par la sympathie et sont loin de toujours bannir du foyer les affections domestiques ? Si les considérations économiques, toujours puissantes, surtout dans les campagnes, prédominent chez le moujik plus que partouf ailleurs, cela tient avant tout aux conditions de la vie rurale, aux habitudes léguées par le servage, au régime du mir et à la propriété collective, toutes choses qui, à l’union de l’homme et de la femme, impriment un caractère plus rigoureusement pratique et positif. En somme, le trait distinctif de la famille grande-russienne n’est pas là. Ailleurs aussi, en Occident et partout, la famille, composée du père, de la mère et des enfants mineurs, peut être considérée comme une association et une communauté. Le caractère distinctif de la famille grande-russienne, c’est que jusqu’à ces derniers temps,

  1. La première opinion est la plus fréquemment adoptée ; la seconde a cependant été aussi parfois soutenue par des savants de valeur, tels que M. Pachmann (Obytchnoé grajdanskoé pravo v Rossii).