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les années exceptionnellement rigoureuses ; mais les limans ou larges estuaires des grands fleuves se prennent presque régulièrement. D’ordinaire la navigation maritime n’est point interrompue ; mais au souffle du vent du nord, sur les côtes de la Crimée comme sur celles du Canada, les bateaux ont parfois leurs agrès durcis par la glace et leur carène couverte d’une croûte congelée, qui les alourdit et les met en danger.

Sans montagnes pour les séparer, les forêts et les steppes des deux zones sont réunies par leurs fleuves. Les plus grands ont leur source dans l’une, leur embouchure dans l’autre. Les différentes régions naturelles de la Russie ne correspondent point à ses bassins : le bassin de la mer Arctique ne possède que l’extrème nord, celui de la Baltique que les contrées de l’ouest ; tout le centre et l’est de l’empire inclinent vers le sud par le Dniepr, par le Don, et surtout par le Volga, le Mississipi russe, qui porte à la Caspienne les eaux des neiges des monts Oural avec les eaux des lacs du plateau de Valdaï.

Ce n’est pas seulement ce qu’elles ont en commun, ce sont leurs dissemblances mêmes qui lient les deux grandes zones de la Russie. Plus leur sol, plus leurs produits diffèrent, plus exclusive est la vocation qu’elles semblent avoir reçue de la nature, et plus chacune d’elles est obligée de recourir à l’autre. Seule la région centrale, où les forêts et les champs se touchent et se mêlent, l’ancien grand-duché de Moscou, pourrait se suffire à lui-même. Le Nord et le Sud ne le peuvent. Il faut au Nord les blés du Sud, au Sud les bois du Nord. Ils se tiennent dans une mutuelle dépendance qui, en dépit de tous leurs contrastes et par leurs contrastes mêmes, assure éternellement leur union. Si la nature a jamais tracé les contours d’un empire, c’est de la Baltique à l’Oural, de l’océan Arctique à la Caspienne et à la mer Noire. Le cadre était nettement marqué, l’histoire n’a eu qu’à le remplir. Ces vastes régions étaient aussi fatalement vouées à l’unité politique que des con-