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substitué peu à peu le caractère communal ; à la communauté de famille a succédé la communauté de village. Ce point de vue, d’accord avec les théories de beaucoup de savants russes et étrangers, peut être souvent conforme à la vérité sans l’être toujours et partout. Il est difficile de regarder les membres de la plupart des communautés de village comme descendant d’un ancêtre commun, alors même qu’ils se considèrent traditionnellement comme tels. Il peut, croyons-nous, y avoir doute sur les conditions historiques de la filiation de la commune et de la famille, sur l’ordre même de la filiation des communautés de famille et des communautés de village. Il pourrait se faire que, entre ces modes de propriété, il y eût eu parfois une sorte de génération alternante, la commune étant primitivement sortie de la famille et les communautés de famille, à leur tour, étant nées d’un sectionnement de la communauté de village[1].

Ce n’est pas ici le lieu de s’arrêter à ces curieuses et obscures questions d’origine. Quel qu’ait été le procédé

  1. Les communautés de familles, dans leur forme actuelle du moins, ne paraissent pas toujours plus anciennes que les communautés de village, la zadrouga serbe que le mir russe. Les premières, en effet, telles qu’elles subsistent encore chez certains Slaves du Sud, présupposent une appropriation héréditaire du sol au profit de certains habitants du village ; à ce titre, on y peut voir un progrés de l’individualisation, une transition entre la propriété du clan ou de la commune et la propriété personnelle. En outre, le domaine de ces communautés de famille est d’ordinaire beaucoup plus restreint que celui des communautés de village et le nombre de leurs membres fort inférieur. La zadrouga serbe compte habituellement de dix à vingt-cinq membres ; ce n’est que par exception qu’il s’en rencontre de cinquante à soixante personnes. Quand la zadrouga devient trop nombreuse, elle se scinde d’ordinaire en deux. Il y a des villages, en pays serbes, qui portent le nom d’une famille, et dont les habitants paraissent bien provenir d’une même souche ; mais ces villages se composent toujours de plusieurs communautés. (Voyez par exemple le Droit coutumier des Slaves méridionaux, d’après les recherches de M. Boguichitch, par F. Domélitch (Paris, 1877.) — En résumé, la zadrouga serbe peut, par sectionnement, être sortie d’une communauté de famille primitive, mais il n’en saurait guère sortir de communautés de village, tandis qu’en se fractionnant, le mir russe eût fort bien pu engendrer des communautés de famille, fort analogues à la zadrouga ; cela paraît même être arrivé quelquefois (Voy. plus bas, pages 495, 496.)