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validité de leurs droits, qu’on leur garantît la propriété des terres qui leur ont été allouées. Quoi qu’il en soit de ces détails » l’émancipation a pu indirectement ouvrir aux partages et à la communauté des districts qui leur étaient jusque-là demeurés fermés[1]. Chose singulière ! les statuts de 1861 semblent avoir ainsi momentanément étendu à de nouveaux villages, en même temps que consolidé dans son aire ancienne, un mode de tenure du sol qui, trois siècles plus tôt, paraît avoir été fortifié, sinon introduit, par l’établissement du servage[2].



  1. Il ne s’agit naturellement ici que de cas isolés. En tranférant aux paysans la propriété des terres dont ils avaient la jouissance, les lois agraires de 1861 ont respecté le mode de tenure du sol en usage dans chaque contrée. Rien qu’à l’intérieur et à l’étranger, on les ait souvent accusés de partialité pour la tenure collective, les rédacteurs de l’acte d’émancipation se sont contentés de laisser subsister le régime de la communauté là où il existait déjà, ils se sont gardés de l’introduire ailleurs par voie législative. N. Milutine en foisait la remarque à Paris, à la Société des Économistes, en mai 1863 : « Le législateur, disait il, n’impose à la classe rurale aucun des modes de propriété de préférence aux autres ; cette propriété peut être individuelle ou communale selon l’usage établi dans chacune des régions de l’empire, et il dépendra de la volonté des acquéreurs eux-mêmes de transformer les terres achetées par la commune en propriété privée et individuelle ». (Journal des Économistes, juin 1863.)
      Cette assertion était exacte ; les communes, les individus même pouvaient passer de la communauté à la propriété personnelle. (Voy. ci-dessous p. 566). L’article 165 du règlement sur le rachat n’autorisait, il est vrai, les paysans à disposer librement de leur lot qu’après l’avoir entièrement racheté. Cet article, même avec cette restriction, a paru une menace pour le mir. Il s’est trouvé parfois des spéculateurs qui se sont fait céder les lots du paysan en lui avançant les fonds nécessaires au rachat. Des moujiks se sont ainsi laissé dépouiller de la propriété que le législateur leur voulait assurer. Aussi plusieurs Russes, entre autres M. Pobédonostsef ont-ils émis le vœu que l’article 165 fût supprimé, et que les lots des paysans devinssent inaliénables. (Voy. le Rousskii Vestnik sept. 1889).
  2. Sur la réapparition de la communauté dans certaines provinces de la Petite Russie, où elle était presque inconnue avant l’émancipation, voyez Loutchitsky : Sbornik Malerialof dlia istorii Obchtchiny i obch. Zemel v ievoberejnoï Oukraïné XVIII veka. Cf. les recueils statistiques des Zemstvos de Koursk, Poltava, Voronège, pour les paysans de ces provinces.