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recourir à un pareil culte. Partout l’accroissement de la population a été l’une des choses qui ont hâté le passage de la propriété collective à la propriété individuelle. Partout la réduction du lot de chacun par la multiplication des copartageants a été l’une des raisons qui ont mis fin à la communauté, en mettant fin aux partages périodiques, pour laisser chaque famille en possession du lot dont elle avait la jouissance. Facilitatem partiundi camporum spatia prœstant, dit Tacite des Germains ; arva per annos mutant et superest ager ; ils changent de champs chaque année et il demeure encore de la terre inoccupée. À quel pays de telles paroles pouvaient-elles mieux s’appliquer qu’à la Hoscovie ? La moitié orientale de l’Europe, la plus riche en terre et de tout temps la moins peuplée, devait naturellement être la dernière à renoncer à la communauté et aux partages périodiques. L’isolement moral de la Moscovie y contribuait aussi bien que son isolement géographique. Unie plus intimement à l’Occident par la religion, par la politique ou les mœurs, la Russie eût pu voir la propriété individuelle détrôner chez elle la propriété collective, sous l’influence latine ou germanique, sous l’influence du droit romain ou des coutumes féodales.

Dans la Grande-Russie, c’est-à-dire dans toute la Moscovie, chez les anciens serfs des particuliers aussi bien que chez les paysans de la couronne, règne encore aujourd’hui, presque exclusivement, la propriété collective. Dans cette immense région de la Neva à l’Oural, le nombre des paysans possédant la terre à titre personnel ne dépasse guère 1 ou 2 pour 100 de la totalité, et encore ces propriétés individuelles sont-elles presque toutes d’origine récente. Jusqu’en 1861, les seuls propriétaires personnels, en dehors des nobles et des colons étrangers, étaient les odnodvortzy, qui formaient une petite classe à part[1]. Dans la Russie

  1. Voyez plus haut, livre V, chap. i. Encore, chez ces derniers mêmes, le mode de tenure du sol était-il souvent une sorte de communauté de famille. Voy. ci-dessous le chap. suivant p. 495.