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de terre qu’il le peut. On croit avoir démontré que, jusqu’au dix-huitième siècle, les partages étaient inconnus dans le nord de la Russie, sans que le sol eût cessé d’y être regardé comme propriété commune[1]. Des remarques analogues ont pu être faites à propos des steppes du sud : M. Mackenzie Wallace[2] a fait observer que, chez les Cosaques du Don, par exemple, où la terre était très abondante, les partages périodiques étaient d’introduction récente. Tant que le nombre des Cosaques était trop faible pour occuper tout le sol, chacun était libre de labourer autant de terre qu’il lui plaisait, pourvu qu’il n’empiétât point sur les cultures d’autrui. L’accroissement de la population devait naturellement mettre un terme à cette sorte de droit de jouissance du premier occupant. Pour que chaque Cosaque eût sa part du sol et fût capable de remplir ses obligations vis-à-vis de l’État, il a fallu recourir à des partages réguliers. Un phénomène analogue a pu, sous l’empire de causes semblables, se produire en d’autres régions de l’empire.

Bien des causes diverses ont prolongé dans la partie orientale de l’Europe un ordre de choses depuis longtemps disparu de l’Occident : le degré de civilisation et l’état économique de la Moscovie, le régime politique et le caractère patriarcal ou mieux domanial du gouvernement, enfin le sol et la nature même du pays. Dans ces vastes plaines que rien ne borne, où la terre semble sans limite, l’homme, toujours au large, ne sentait pas le besoin de s’assurer un champ en l’entourant de clôtures. Chez des populations nombreuses, pressées sur un sol restreint, comme en Grèce et en Italie, le dieu Terme a pu de bonne heure être une divinité révérée, un des gardiens essentiels de la vie sociale. En Russie, où le sol était vaste et la population rare, les hommes devaient être longtemps avant de

  1. Sokolovski : Otcherk istor. selsk. obchtch, na sév, Rossii.
  2. Russia, t. II, p. 88-90 de la Ve édit. anglaise.