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de vérité ? On ne saurait admettre que les Russes, qui, de tous les Slaves, ont le mieux conservé ce mode primitif de tenure de la terre, y soient un jour revenus, après l’avoir entièrement abandonné. On se refuse à croire qu’à l’inverse de tous les peuples connus, les paysans moscovites aient devancé les conseils des utopistes modernes pour passer sans bruit, à la fin du seizième siècle, de la propriété personnelle à la propriété collective. Ce qui est acceptable, ce qui est vraisemblable même, c’est que l’établissement du servage et la solidarité des impôts ont fortifié au fond du peuple un mode de propriété dont, sans cela, la Russie fût peut-être sortie aussi bien que les autres nations de l’Europe. Les serfs et le maître, l’État et les particuliers pouvaient, en effet, trouver intérêt à maintenir ou à restaurer, là où il aurait tendu à disparaître, un mode de tenure du sol qui, grâce à des partages réguliers, assurait au pays une plus égale répartition des charges, à l’État ou au seigneur une plus facile perception des taxes ou redevances. Le servage, et tout le système financier et administratif de la Moscovie, a pu ainsi, de concert avec l’accroissement de la population, contribuer à généraliser, sinon le régime même des communautés de village, du moins la coutume des partages périodiques, qui semblent aujourd’hui l’un des traits essentiels du mir russe.

Dans ce débat, que nous n’avons pas la prétention de trancher, il faut, en effet, distinguer entre la propriété collective et la coutume des partages : la première peut se maintenir longtemps sans la seconde, et l’absence de l’une ne prouve pas contre l’existence de l’autre. Tant que prédomine la vie pastorale et, à plus forte raison, la chasse ou la pêche, tant que, avec la vie agricole même, la densité de la population reste très basse relativement à la surface occupée, il y a peu de motifs de diviser la terre en lots réguliers. Aujourd’hui encore, dans beaucoup de villages de Sibérie, dans quelques districts même du nord de l’empire, chaque chef de famille est maître de cultiver autant