Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mise en péril par les excès de l’individualisme. Aux yeux de certains patriotes, la communauté du sol, obscurément maintenue chez le moujik asservi, devint comme une secrète révélation, confiée à un peuple choisi et dont, pour le bien de l’humanité, les Russes devaient se faire les apôtres et les missionnaires.

Les récentes études d’histoire et de droit comparés ont dissipé ces illusions de l’amour-propre national. Au dedans de l’empire, des institutions agraires, analogues aux communautés slaves, ont été découvertes chez la plupart des tribus indigènes de la Russie, depuis les Lapons, les Karèles et les Samoyèdes du Nord jusqu’aux Mordves, aux Tchouvaches, aux Tchérémisses du centre[1]. Au dehors, des communautés agricoles, plus ou moins semblables à celles qui subsistent encore en Russie, se sont rencontrées chez les peuples les plus divers, à Java, dans l’Inde, en Égypte. On les a retrouvées dans le passé aux deux extrémités de l’univers, au Mexique et au Pérou, comme en Chine et en Europe. Au mir de la Grande-Russie, on a donné comme pendant, après l’ager publicus des Romains qui en différait à tous égards, la mark germanique qui semble s’en être davantage rapprochée[2] et dont les traces se laissent suivre à travers le moyen âge, en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie, en Angleterre, en France même. Sur ce point, les travaux de sir Henry Maine, de Maurer, de Nasse, d’É. de Laveleye ne laissent guère de doute[3]. Peu importe que

  1. Voyez entre autres Zapiski Imp, Roussk. Géogr, Obchtchestva, (sect. ethnog., t. VIII, 1878), et dans les Oletch. Zapiski (nov. 1878, mars 1879) une étude de M. V. Trirogof sur les communes mordves.
  2. Au moins depuis les xie et xiie siècles.
  3. Henry Sumner Maine, Village Communities in the east and west. — Maurer, Einleitung zur Geschichte der Mark-Haf-Dorf und Stadt-verfassung. — E. de Laveleye, de la Propriété et de ses formes primitives. Il est bon de noter que, selon l’un des plus perspicaces investigateurs de l’histoire, M. Fustel de Coulanges, rien ne démontre l’existence de la propriété collective avec partages périodiques, ni chez les Grecs, ni chez les Romains, ni chez les Gaulois ou les Francs mérovingiens, ni même, en dépit de Tacite, chez les Germains. Selon l’auteur de la Cité antique, la propriété, chez tous ces peuples, aurait été héréditaire, le plus souvent familiale en ce sens que, primiti-