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leur sont restés ont notablement diminué de valeur, le prix des terres, cédées par eux aux paysans, a été calculé à un taux très supérieur à la valeur réelle du sol. Là donc le paysan est souvent encore le plus à plaindre. Une grande partie des serfs de ces provinces avaient cessé de cultiver le domaine de leurs maîtres et se livraient dans les campagnes ou dans les villes à différents métiers, payant à leurs propriétaires une redevance en argent (obrok). Sous peine de ruiner entièrement les seigneurs, on a dû contraindre ces serfs à l’obrok à racheter, tout comme les autres, un champ dont souvent ils ne vivaient plus, et le prix de ce champ, établi sur le taux des redevances annuelles, s’est trouvé d’ordinaire fort supérieur au revenu normal du sol, parfois au revenu net des meilleures années. Pour cette nombreuse classe de moujiks, le rachat obligatoire de la terre équivalait indirectement au rachat de leur liberté.

En faisant présenter le projet d’émancipation, l’empereur avait déclaré au Conseil de l’empire que « le fondement de toute l’œuvre devait être l’amélioration du sort des paysans, et cela non seulement en paroles et sur le papier, mais en fait[1] ». Conformément à d’aussi généreuses instructions, les rédacteurs de la charte d’affranchissement avaient calculé le taux du rachat obligatoire de façon à ce qu’il offrît au paysan un allégement immédiat ; mais ils avaient compté sans l’accroissement des impôts et contributions de toute sorte pour l’État, pour la province, pour la commune. Grand est le nombre des paysans qui payent aujourd’hui des taxes et redevances aussi lourdes qu’au temps du servage. La plupart des affranchis ont moins de terres et moins de bois, souvent moins de bétail et moins de crédit qu’avant l’émancipation, et cela avec des charges égales ou supérieures. Grâce au double poids des impôts et des cinquante annuités de rachat, l’affranchissement

  1. Discours de l’empereur du 27 janvier 1861 ; publié par Rousskaïa Starina (février 1880).Discours de l’empereur du 27 janvier 1861 ; publié par Rousskaïa Starina (février 1880).