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vent, au bout de quelques années, tiré de son domaine réduit un revenu égal et parfois supérieur au revenu que rapportait un domaine double, au temps du servage. Dans cette région favorisée, où l’ouverture des chemins de fer a donné de larges débouchés à l’agriculture, où la terre a fréquemment doublé, triplé, quadruplé de valeur, propriétaires et paysans ont pu tous deux gagner en même temps au nouveau régime[1].

Il n’en est pas de même dans les steppes du sud et encore moins dans les maigres régions du nord et de l’ouest. Dans les steppes où la terre était abondante et la population peu nombreuse, la suppression du travail par corvée a infligé au propriétaire des pertes dont les redevances de rachat n’ont pu l’indemniser. Dans les ingrates campagnes du nord et du nord-ouest, de Pskof, de Novgorod, de Smolensk, de Tver, là où le sol est peu fertile et les bras rares, les terres laissées à la noblesse sont loin de lui rapporter ce qu’elles rendaient au temps du travail gratuit. La différence est telle que beaucoup de propriétaires, trouvant l’agriculture onéreuse ou peu rémunératrice, ont abandonné la culture et la campagne pour aller, dans les villes, vivre du service de l’État, de l’industrie ou du commerce[2].

Ces pomêchtchiks du nord, les plus atteints par l’expropriation de 1861, sont souvent ceux qui ont touché l’indemnité de rachat relativement la plus élevée. Si les biens qui

  1. La rapide élévation du prix des terres, dans les régions les plus fertiles, ne tient pas uniquement à la création des chemins de fer, elle est une des conséquences directes de l’émancipation, qui affranchit la terre elle-même et ouvre l’accès de la propriété à toutes les classes de la nation. Les capitaux des marchands et des autres classes urbaines ont pu s’employer en placements fonciers. Aussi, d’après la commission d’enquête agricole de 1873, le nombre des propriétaires ruraux avait-il triplé dans les dix années qui ont suivi l’émancipation. Par contre, la part proportionnelle de la noblesse dans la propriéié territoriale a notablement diminué. Beaucoup de pomêchtchiks, déjà gênés au temps du servage, ont dû liquider.
  2. Dans le gouvernement de Tver, par exemple, le nombre des exploitations seigneuriales est, en dix-huit ans, tombé de 2860 à 1802 ; dans celui de Kostroma, il a également diminué de moitié (Malerialy dlia isoutcheniia sovremennago pologeniia semlevladêniia, etc. 1er fascic. Saint-Pétersb., 1880).