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pas ce qu’est la liberté. » Ceux qui tenaient ce langage entendaient que la terre allait leur venir d’elle-même, avec le titre d’hommes libres.

Nombre de communes ont, dans des conditions analogues, agi de même. De tels faits montrent que le législateur avait ses raisons en imposant aux paysans un minimun de terres à racheter. S’ils n’avaient pu être contraints par les propriétaires, les moujiks, attendant toujours la propriété gratuite, se fussent souvent refusés à tout accord. Dans le village de K…, par exemple, les paysans n’ont ainsi que deux ou trois dessiatines par âme, tandis qu’en acceptant le maximum réglementaire ils auraient eu plus du double. Les terres qu’ils n’ont pas voulu lui racheter, les moujiks de K… les tiennent en location de leur ancien seigneur, à un taux à peine inférieur au taux des annuités de rachat. En payant quelques kopeks de plus, durant quarante-neuf ans, ils seraient devenus propriétaires au lieu de rester locataires. C’est là un point que tous les paysans n’ont pas compris, ou un courage qu’ils n’ont pas eu, remplis comme ils l’étaient de chimériques espérances et plus attentifs aux charges du présent qu’aux avantages de l’avenir.

Dans le statut (pologénié), qui règle tous les détails de cette immense liquidation, s’était glissé un certain article 123 dont la fortune, aux premiers temps de l’émancipation, est ainsi due à l’imprévoyance des paysans. D’après cet article, l’ancien seigneur, au lieu de vendre à ses tenanciers la quantité de terre stipulée par le règlement, pouvait, d’accord avec eux, se dégager de cette obligation en leur abandonnant gratuitement le quart du maximum légal. Cet article 123 qui, du nom de son inventeur, avait reçu le sobriquet d’article Gagarine, paraît avoir été peu du goût des Milutine, des Tcherkasski, des Samarine, en un mot, des plus ardents champions du moujik dans la commision de rédaction. Grâce à l’ignorance des anciens serfs, cette clause, au début fort en faveur