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fussent trouvés complètement ruinés[1]. Parmi les paysans aucune catégorie d’anciens serfs n’a été appelée à recevoir une indemnité ou des secours ; mais indirectement l’État a dû venir en aide à plusieurs en leur remettant une partie des taxes arriérées. C’est ce qui s’est fait par exemple, dans le gouvernement de Smolensk, où le rendement des terres est hors de proportion avec le prix exigé des affranchis, où le lot que le paysan a été contraint de racheter est notoirement insufDsant pour solder ses impôts et redevances[2].

Là où les conditions du rachat leur étaient le plus favorables, les paysans n’ont pas toujours su profiter des avantages qui leur étaient offerts. Ils montraient pour cette opération une répugnance qu’expliquaient leurs préjugés et leurs défiances. « Comment, disaient-ils, racheter les champs qui nous appartiennent ? » Beaucoup voyaient là un piège et s’imaginaient que, la terre devant leur être un jour concédée gratuitement, le seigneur seul avait avantage à procéder au rachat. Au village de E…, dans un des plus riches gouvernements du tchernoziom, un grand propriétaire, homme droit et libéral, avait voulu faire comprendre à ses paysans qu’il était de leur intérêt de racheter le maximun des terres que leur accordait le règlement local. Ses propositions ne firent que fomenter la méfiance, après de longues discussions elles furent repoussées par la commune. C’est par commune en effet, et par engagement solidaire de tous les paysans, que s’effectue d’ordinaire le rachat. Dans l’assemblée communale du village en question, les paysans qui, suivant l’avis du propriétaire, opinaient pour le maximun légal étaient traités par les autres de partisans du seigneur. On leur prenait la barbe et on leur disait : « Vous n’êtes que des serfs, vous êtes les gens du barine (maître), vous ne savez

  1. Une dizaine de millions de roubles, pris sur les fonds du Trésor et en grande partie distribués par les assemblées de la noblesse, ont été employés à cet effet.
  2. Pour les allégements accordés aux paysans par Alexandre III, voir p. 457.