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encore temporairement obligés à la même date[1]. Dans d’autres gouvernements au contraire, comme ceux de Viatka, Orenbourg, Kharkof, Kherson, l’opération, à la même époque, était presque achevée. La raison de ces différences est dans la diversité même des conditions du rachat selon les diverses régions.

Dans les plus fertiles contrées du tchernoziom où, grâce aux débouchés ouverts par les chemins de fer, la valeur du sol a rapidement augmenté, les propriétaires ont souvent trouvé avantage à ne pas consommer le rachat, à garder sous la main, grâce à la corvée, des ouvriers qu’ils tenaient dans une étroite dépendance. Or, d’après le statut d’émancipation, le paysan n’avait pas le droit d’exiger le rachat ; ce droit n’appartenait qu’à l’ancien seigneur, et, dans ce cas, les paysans avaient seulement la faculté de réduire leurs lots au minimum légal des règlements locaux. Avec une pareille législation, on s’explique sans peine le peu de progrès de l’opération dans les dernières années. Bon nombre de propriétaires ne songeant même pas à provoquer le rachat, et ayant plutôt intérêt à le repousser, le demi-servage des rapports temporairement obligatoires pouvait se perpétuer indéfiniment. Pour mettre fin à une pareille anomalie et hâter l’achèvement de cette grande liquidation, un oukaze d’Alexandre III a rendu le rachat obligatoire à partir de 1883. Le fils a eu ainsi l’honneur de compléter l’œuvre du père.

Il est à remarquer que les rachats effectués du consentement mutuel des propriétaires et des paysans sont les moins nombreux, à peine les deux cinquièmes du total ; le reste, plus de 60 pour 100, a été opéré sur la demande des propriétaires ou des établissements de crédit auxquels les propriétaires avaient engagé leurs biens. La prédominance des rachats imposés par les propriétaires s’explique par

  1. Statistique de la propriété foncière en Russie (Statistika pozemelnoï sobstvennosti Evrop, Rossii), d’après les évaluations du bureau central de statistique, t 1, St-Pét. 1880.