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Quelques chiffres donneront l’état de l’opération à la mort d’Alexandre II. Au 1er janvier 1881, il restait encore dans les trente-sept gouvernements de l’intérieur 1 553 000 âmes de revision[1], soit plus de 3 millions de paysans temporairement obligés, c’est-à-dire encore astreints à la corvée ou à l’obrok. Le nombre des anciens serfs ayant procédé au rachat était, dans les mêmes gouvernements, de 5 750 000 âmes. De ces paysans 5 100 000 avaient demandé le concours de l’État, le reste, 645 000 environ, s’étaient passé de ce concours. À ces chiffres il faut ajouter 2 700 000 âmes pour les neuf provinces occidentales, où, à la suite de l’insurrection polonaise, le lien du servage a été brusquement rompu et le rachat rendu immédiatement obligatoire. C’était donc pour ces quarante-neuf gouvernements, qui comprenaient l’immense majorité des serfs, plus de 8 millions d’âmes de revision, soit environ 20 millions de personnes, définitivement délivrées des liens de la glèbe et n’ayant plus qu’à servir l’intérêt du prêt de rachat. Dans le reste de l’empire et jusque dans les provinces les plus éloignées, au Caucase, par exemple, l’opération a été conduite de la même manière.

On a, durant les dernières années d’Alexandre II, remarqué un ralentissement dans le rachat. Le nombre des paysans, procédant annuellement à cette opération, a presque sans cesse décru depuis 1873 ; on n’en a pas compté 20 000 en 1880. De cette façon la disparition des paysans temporairement obligés risquait d’être ajournée à 15 ou 20 ans, le régime de la corvée menaçait de persister çà et là jusque dans le vingtième siècle.

Contrairement aux idées reçues, il y avait ainsi, à l’avènement d’Alexandre III, de nombreux paysans qui, de par le statut même d’émancipation, demeuraient dans une dépendance légale de la noblesse. En 1882 plus de trois

  1. Comme au temps du servage, on entend toujours par âme, doucha, le paysan mâle, naguère soumis à la capitation, sans tenir compte de l’accroissement de la population d’une revision à l’autre.