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sieurs années de suite, puis abandonnée pour une plus longue période à sa végétation naturelle, pendant que le laboureur va chercher, dans ces vastes espaces, des champs d’une fertilité vierge. Cette culture de translation et comme errante ne peut persister qu’avec une faible population. Il ne faut que 24 ou 25 habitants par kilomètre carré pour la rendre à peu près impossible par l’insuffisance des jachères, et lui faire céder la place à la culture triennale, le mode habituel d’exploitation du tchernoziom. Ainsi, avec le progrès de la population s’accomplit graduellement l’annexion des steppes à la Terre noire. Cette conquête s’opère sans efforts, sans souffrances du premier occupant, sans martyrs de la civilisation. Le steppe à sol fertile, couvrant 500 000 ou 600 000 kilomètres carrés, est encore presque aussi vaste que la zone du tchernoziom actuellement en culture régulière. Dans un avenir prochain, l’un et l’autre ne formeront qu’une seule région agricole, comme un seul et même champ, occupant, en Europe seulement, de 1 million à 1 200 000 kilomètres carrés presque d’un seul tenant, environ deux fois la surface totale de la France. La prairie d’Amérique, qui passe par des phases à peu près analogues, sera probablement le seul pays de céréales à l’emporter sur elle, et si le développement en est plus rapide, cela tient surtout à l’abondance des capitaux et à l’immigration européenne.


Au Sud et à l’Est de la région du tchernoziom steppien viennent les steppes nus, les steppes éternels, qui semblent à jamais impropres à l’agriculture. Là toute couche végétale disparaît pour ne laisser voir que le sable, ou un sol imprégné de sel, plus défavorable encore à la culture. Telle est la vaste dépression ouralo-caspienne, fond de mer récemment desséché, où l’eau en s’évaporant a laissé le sel, et qui est encore çà et là couvert de petits lacs salins, débris de l’ancienne Méditerranée aujourd’hui réduite aux proportions de la Caspienne. Ainsi que le Sahara, cette