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que comme transitoire. En se prolongeant indéfiniment, de pareilles redevances financières eussent trop ressemblé à des droits féodaux ; les obligations de la corvée, si nettement délimitées qu’elles fussent, eussent trop rappelé le servage. Aussi, les tenanciers soumis à ce régime furentils appelés paysans temporairement obligés. Ces paysans n’avaient pour ainsi dire traversé que la première phase de l’émancipation ; ils étaient dans une situation intermédiaire entre la liberté et la servitude.

Ensuite est venue une seconde opération plus compliquée, plus lente, qu’Alexandre II devait laisser inachevée : c’est le rachat qui supprimait les rapports territoriaux obligatoires entre les deux classes rurales. Ce rachat ne portait point sur la liberté personnelle des serfs, pour laquelle la noblesse n’a jamais réclamé aucune indemnité ; il portait sur les terres allouées aux paysans, ou plutôt sur les rentes foncières qui, en vertu du statut d’émancipation et des chartes réglementaires, grevaient les terres des anciens serfs au profit du seigneur. L’acte de rachat a fait des paysans les propriétaires du sol qui leur avait été concédé en jouissance ; il les a déliés de toute redevance envers leur ancien maître.

À l’inverse des conventions précédentes et des chartes réglementaires, le législateur n’avait réglé ni le mode, ni l’époque du rachat ; c’était aux parties intéressées d’en prendre l’initiative, d’en fixer les conditions et le moment. Il n’y a eu d’exception que pour les provinces occidentales, les anciennes provinces lithuano-polonaises, où, à la suite de l’insurrection de 1863, le gouvernement, pour un motif politique, déclara le rachat obligatoire. Dans la Russie proprement dite, l’État, jusqu’à l’avènement d’Alexandre III, n’est intervenu au rachat que par son concours financier.

Abandonné aux seules forces des paysans, le rachat eût présenté bien des difficultés, pour le maître comme pour l’ancien serf. L’opération eût pu durer des siècles sans être achevée. Aussi l’État a-t-il fait, aux affranchis qui le lui