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trois âmes, c’est-à-dire trois membres mâles, reçut ainsi en moyenne douze ou quinze hectares, ce qui dans la plupart des contrées correspondait, à peu de chose près, à la quantité de terre dont les paysans avaient la jouissance au temps du servage. Quoique cette équivalence eût été admise en principe, les avocats du moujik, les Milutine, les Samarine et leur amis, n’ont pu lui assurer toujours un lot égal au lot dont il jouissait avant d’être émancipé, et la façon dont a été accompli le partage effectif de la terre a, dans la pratique, accru souvent encore cette différence[1]. Il y a eu là, on le comprend, une première désillusion, une première cause de mécontentement pour le paysan, d’autant plus que l’accroissement de la population tend naturellement chaque année à rétrécir les lots primitifs. Ce n’était pas du reste le seul motif de désenchantement des anciens serfs. En quelques régions, la concession territoriale a été manifestement trop faible ; en beaucoup d’autres, elle a, grâce au taux du rachat, été manifestement onéreuse pour le paysan. La grandeur de l’allocation territoriale n’est, en effet, qu’une des faces de la question ; pour apprécier la position des affranchis, il faut savoir combien la terre leur a coûté et comment ils en ont pu acquitter le prix.



  1. Les adversaires de Milutine parvinrent à faire réduire, dans le sein même de la commission de rédaction, les allocations territoriales des ci-devant serfs. C’est ainsi que, dans une de ses lettres à Milutine (25. sep. 1861), G. Samarine se plaint vivement de ce que, pour les paysans de la région de Samara, le comte Panine, président de la commission après Rostovtsef, eût réussi à faire abaisser la moyenne des lots de 5 dessiatines et demie à 5.