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de Stein, offrait aux Russes des leçons dont ils ont profité, sans copier personne[1]. Deux choses distinguent spécialement le mode d’affranchissement adopté à Pétersbourg. Au lieu de se contenter de leur donner la liberté personnelle, la liberté nue, pour ainsi dire, la Russie a doté les paysans de terres ; au lieu de laisser, comme la Prusse de 1809 ou de 1848, les paysans émancipés sous le patronat et la tutelle de leurs anciens seigneurs, dans une sorte de servage administratif, la Russie a du premier coup constitué les anciens serfs en communes indépendantes de leurs maîtres de la veille. Tandis que le Bauer de la Prusse orientale est, au moins jusqu’aux réformes de 1872, demeuré sujet et vassal de la Ritterschaft, le moujik russe, grâce à la propriété du sol et grâce à l’autonomie de sa commune, a été émancipé à la fois économiquement et administrativement.

Le grand objet du système d’émancipation adopté en Russie, c’était de pourvoir de terres les affranchis, c’était de faire des anciens serfs des propriétaires. Cela fut naturellement la grande difficulté. Aux yeux d’une partie de la noblesse, aux yeux de beaucoup de politiques, il suffisait de rendre aux paysans la liberté personnelle. C’était ce qu’avait fait l’empereur Alexandre Ier pour les serfs des provinces baltiques. Qu’est-ce que le servage ? disaient les théoriciens de ce système. C’est le travail de l’homme, concédé gratuitement à un autre homme. Pour abolir le servage, il n’y a qu’à supprimer la gratuité du travail[2]. Comment, continuait-on, s’est établi le servage ? Par un règlement de police défendant aux paysans de passer d’un

  1. On peut aisément se rendre compte des exemples donnés à la Rassie par l’étranger, grâce à l’ouvrage de Samuel Sugenheim, Geschichte der Aufhebung der Leibeigenschaft und Hôrigkeit in Europa, Saint-Pétersbourg, 1861, et à l’étude de Samarine (Ouprasdnensé kréposinago prava v Proussii), réimprimée en 1879 dans le 11o volume de ses œuvres.
  2. Cette opinion, qui prétendait s’appuyer sur les données de l’économie politique, était adoptée par nombre d’économistes étrangers. (Voyez, par exemple, les Lettres de M. de Molinari sur la Russie, réimprimées en 1879.)