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aventureux qui, à la suite des Cosaques, entraînaient aux extrémités de l’empire la partie la plus vigoureuse, la plus active du peuple russe. Moins la Russie était limitée par la nature, plus le sol était vaste et plus l’homme avait besoin d’y être enchaîné : le servage le retint et pour ainsi dire l’immobilisa.

C’est en 1593, sous Fédor, fils d’Ivan le Terrible, et sous l’inspiration de Godounof, beau-frère et successeur de Féd9r, que fut enlevé aux paysans le libre passage d’une terre à une autre. De ce seul fait, d’une mesure originairement provisoire, découla le servage du moujik. On avait vu quelque chose d’analogue, douze siècles plus tôt, dans l’empire romain, lors de l’établissement du colonat, sous les empereurs chrétiens. Une fois attaché à la terre, le paysan moscovite perdit peu à peu tous ses droits civils et tomba dans une dépendance que le législateur n’avait point prévue ; il devint le bien, la chose du propriétaire. Des ukases des premiers Romanof confirmèrent et complétèrent l’œuvre de Godounof. La réforme de Pierre le Grand resserra les liens du paysan au lieu de les relâcher, la servitude devint plus étroite en étant mieux réglée. Le premier dénombrement général (pervaïa revizia), opéré en 1722 et depuis renouvelé à des intervalles inégaux, fournit au servage des registres réguliers. Par mesure de simplification et par économie, l’État abandonna aux propriétaires presque toute l’administration avec la police de leurs domaines. Le servage devint d’autant plus difficile à détruire qu’il était devenu un instrument de gouvernement, un des principaux rouages d’une machine politique encore peu compliquée.

Jusqu’en 1861, le propriétaire, le pomêchtchik, eût pu être considéré comme un agent de l’État, chargé de veiller dans les campagnes au recrutement des soldats et à la rentrée des taxes, comme une sorte de fonctionnaire héréditaire, investi de l’administration et de la tutelle des paysans.