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demi-hommes, poloulioudi, par opposition aux guerriers, aux membres de la droujina, auxquels était réservé le titre d’hommes (moujy) ou d’hommes complets (polnylioudi). Tel est le sens méprisant du diminutif, encore vulgairement employé pour désigner le paysan : moujik, c’est-à-dire petit homme, homunculus[1]. En Moscovie, ce nom était appliqué aux habitante des villes et à ceux des campagnes, aux marchands comme aux villageois.

Dès avant l’établissement du servage, les moujiki ou petits hommes avaient pour principal rôle de faire vivre les hommes, les moujy, de cultiver pour ces derniers les terres que le souverain concédait à ses serviteurs comme salaire ou comme moyen d’entretien. Les moujiks, les hommes noirs, comme on les appelait aussi (tchernye lioudi), n’étaient cependant alors enchaînés ni à la personne du maître qu’ils servaient, ni à la terre qu’ils cultivaient. De même que les membres de la droujina et les boyars pouvaient passer à leur gré d’un prince, d’un kniaz à un autre, les hommes du peuple, les paysans, pouvaient changer de maître, pouvaient passer d’une terre ou d’un lieu à un autre. Les hommes noirs possédaient ainsi, tout comme les guerriers et les droujinniks, le droit de libre service avec le droit de libre passage, et, comme le boyar, le moujik perdit le premier de ces droits en perdant le second, qui en était la garantie[2].

Ce droit de libre passage d’une terre à une autre, les paysans de la Moscovie l’exerçaient d’ordinaire, sous les derniers Rurikovitchs, une fois par an, à la fin de l’année agricole, le 26 novembre, jour de la Saint-Georges, ou

  1. Cette distinction est plus ou moins analogue à celle de l’ancien droit germanique, entre les leudi et les manni, les leute et les männer. En Russie, le nom officiel de la classe des paysans est krestianine, pluriel krestiane, mot qui paraît une forme corrompue de khristianine, chrétien, ou peut-être un dérivé de krest, croix, et qui sans doute est devenu le nom des paysans russes sous la domination tatare.
  2. Bélaef, Kreitiané na Rousi, Vasiltchikof, Zemlevtadénié i Zemledélie, t. I, ch. vi. Tchitchérine, Opyty po istorii rousskago prava (ch, i).