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certains égards intermédiaire, c’étaient les paysans des apanages ou des biens réservés pour la dotation des membres de la famille impériale[1].

Ces paysans, longtemps répartis en groupes divers, jouissaient originairement de la même liberté et des mêmes droits. En Russie plus qu’en Occident, on peut dire que pour l’homme des champs la liberté a été la condition primitive. La servitude de la glèbe n’est venue que fort tard ; mais, s’aggravant peu à peu, elle avait dégénéré en une sorte d’esclavage. C’est seulement à la fin du seizième siècle, au moment où ils tombaient ou se relâchaient dans la plus grande partie de l’Europe, que les liens du servage se nouaient en Russie.

Dans l’ancienne Russie il y avait des esclaves (kholopy, raby) ; c’étaient d’ordinaire des prisonniers de guerre, des débiteurs insolvables, ou des gens qui par misère s’étaient eux-mêmes vendus à un maître. Ces esclaves étaient en petit nombre : la masse des paysans était considérée comme libre. De bonne heure, néanmoins, les hommes des champs se trouvèrent, vis-à-vis des hommes de guerre et de la droujina, dans une situation inférieure et dédaignée. Les premiers étaient appelés petits hommes, moujiki, ou encore

  1. Voici quelles étaient, avant l’émancipation, les proportions relatives de ces trois catégories de paysans, dans la Russie d’Europe, sans le Caucase, la Pologne et la Finlande. Le nombre des serfs des deux sexes était en gros de 22 millions et demi ; — le nombre des paysans de la couronne de 22 millions et plus, en y comprenant certains groupes accessoires de paysans libres, tels, que les colons d’origine étrangère ; — le nombre enfin des paysans d’apanage, de 2 millions environ. À cette époque, sur 100 habitants de la Russie proprement dite, on trouvait la proportion de 38,1 pour les serfs des particuliers, de 37,2 pour les paysans libres, et de 3,4 pour les paysans des apanages (Troïnitski, Krêposinoe Nasélénié v Rossi po lO° revisii, Saint-Pétersbourg (1861). Quelques années plus tôt, la proportion était plus défavorable ; en 1838, par exemple, la proportion des serfs était encore de 44 pour 100 de la population totale. Le nombre relatif des serfs allait donc en diminuant, grâce aux émancipations individuelles, grâce au service militaire qui affranchissait les soldats, grâce aux biens hypothéqués au profit de l’État, lesquels, en cas de non-payement des intérêts, venaient accroître les biens de la couronne. De cette façon, le servage, abandonné à lui-même, eût pu finir par disparaître au bout de quelques siècles sans émancipation formelle.