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tuer la gardienne de l’enseignement populaire ; Alexandre III a fait plus ; il lui a rendu, en 1889, une influence directe sur l’administration rurale et les communes de paysans[1]. Le « nihilisme » a tourné au profil du dvorianstvo. Dans la guerre faite aux conspirateurs, Alexandre III, comme Alexandre II, a plus d’une fois réclamé le concours de la noblesse. Que sortira-t-il des fonctions nouvelles dont elle a été investie ? Au temps où elle était plus nombreuse et plus riche, la noblesse territoriale a montré peu d’empressement ou peu d’aptitude à se servir des prérogatives que lui avait octroyées le pouvoir ; saura-t-elle mieux en user désormais ? Une chose est pour nous hors de doute : les droits concédés à la noblesse ne pourront transformer le caractère séculaire du dvorianstvo. Quels qu’ils soient et quelque élargis qu’ils puissent être, de tels privilèges ne suffiront pas à faire dévier le mouvement historique de la société russe. À cet égard, toute appréhension est vaine et toute espérance est une illusion[2].

L’examen du présent et l’étude du passé conduisent à la même conclusion. Il y a en Russie une sorte de noblesse ; il n’y a point d’aristocratie, et ce n’est pas de nos jours qu’il s’en peut créer une. Il y a une noblesse qui, prise dans ses grandes familles, est aussi ancienne, aussi illustre qu’aucune, et prise dans son ensemble est aussi civilisée, aussi éclairée qu’aucune en Europe, une noblesse la plus ouverte de toutes, la plus dégagée de préjugés, la plus exempte de morgue ou d’esprit de caste, et en même temps la plus bariolée et mêlée, la plus dépourvue de traditions, la plus dénuée de vie commune et d’esprit de corps. À ce

  1. Plusieurs assemblées de la noblesse ont longtemps réclamé pour leur ordre la prépondérance dans l’administration locale. L’empereur Alexandre III leur a donné satisfaction, dans une large mesure, par la loi de juillet 1889 qui a créé des chefs de canton ruraux (Zemskie natchalniki), investis de fonctions administratives et judiciaires à la fois. Les chefs de canton doivent être pris parmi les propriétaires nobles du district ; ils sont choisis par le gouverneur d’accord avec les maréchaux de la noblesse.
  2. Voyez tome II, liv. I, ch. iv et liv. III, ch. i.