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moins de signes extérieurs pour se reconnaître. En réalité, le dvorianine n’a plus qu’un seul privilège personnel, le privilège d’entrer plus facilement au service et d’y faire plus rapidement son chemin[1]. Ce dernier avantage, la noblesse s’y attachera peut-être d’autant plus que les autres lui échappent. Dépouillé de ses prérogatives et menacé dans la propriété foncière, le dvorianstvo, appauvri, n’aura d’autre refuge que son berceau primitif, le service et le tchine. Sur ce terrain même, les privilèges que lui accordent encore la loi ou l’usage tomberont peu à peu devant le nivellement de la culture ou les exigences de l’égalité. Au service comme ailleurs, la noblesse, au lieu de droits, n’aura plus que des faveurs ; elle ne gardera d’autres avantages que ceux qui partout appartiennent au crédit et aux positions prises[2].

Des privilèges personnels, inhérents à l’individu et à la famille, peuvent constituer une noblesse, des prérogatives communes, exercées en corps par la classe des nobles, peuvent seules constituer une aristocratie. De ces prérogatives, le faible dvorianstvo en possédait plusieurs et d’importantes. Ce n’était, il est vrai, ni un legs d’un passé lointain, ni un reste vénéré de vieilles coutumes nationales, ce n’était qu’une imitation de l’étranger et une copie tardive d’un modèle déjà vieilli. Rien de semblable n’était connu de l’ancienne Russie, où les serviteurs de l’État n’avaient d’autres droits que ceux qu’ils tenaient du service. Comme

  1. À ce privilège s’en rattache un autre analogue, le droit de faire admettre ses enfants dans certains établissements d’instruction, tels que le lycée Alexandre de Saint-Pétersbourg, ou l’institut des filles nobles de Smolna. En 1880, l’accès du lycée Alexandre, jusque-là réservé à la portion ancienne de la noblesse, a été étendu à tout le dvorianstvo, c’est-à-dire à toutes les familles de fonctionnaires d’un certain rang.
  2. En attendant, une chose qui frappe toujours en Russie, c’est le grand nombre des mêmes noms que l’on rencontre dans toutes les positions officielles. Il y a ainsi une cinquantaine, peut-être une centaine de familles, constituant une sorte d’oligarchie bureaucratique dont, depuis de longues années, les noms reviennent presque à chaque page des annuaires militaires, diplomatiques, administratifs, etc. C’est là du reste une naturelle conséquence de la monarchie absolue et du règne des influences de cour.