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niers surtout, gardent souvent contre la noblesse, dont le service leur ouvre l’accès, toutes les rancunes de leur premier état, toutes les préventions de leur origine. Le tchine n’établit ainsi entre les membres du dvorianstvo qu’une assimilation extérieure, qu’un lien factice. La noblesse russe reste intérieurement divisée, ne possédant, ni là cohésion et l’esprit de corps des aristocraties fermées, ni la vigueur et la puissance d’absorption des aristocraties ouvertes. Le dvorianstvo demeure ainsi sans solidarité, sans force propre ; fait de pièces hétérogènes et mal jointes, il est incapable de servir de support à un gouvernement, ou d’étai à une société ébranlée. Pour en faire un corps homogène et consistant, pour y trouver un point d’appui conservateur, il faudrait d’abord briser cette noblesse nominale, démolir cette assemblage disparate de morceaux rapportés, et encore, on aurait beaii en trier et en souder les débris qu’il serait malaisé d’en rien tirer de solide.

Le dvorianstvo a ses pires ennemis dans son sein, ou plutôt l’aristocratie a ses adversaires les plus décidés dans la noblesse légale, qui semblerait devoir lui servir de cadre. Trop nombreuse, trop pauvre, trop mêlée pour se flatter d’être admise au partage des privilèges d’une aristocratie, la masse de la noblesse ne pardonne point à ceux de ses membres qui rêvent de prérogatives auxquelles tous ne sauraient avoir part. Du tchine et de la petite propriété est issue une noblesse indigente et envieuse, un prolétariat à demi cultivé, auquel la civilisation a donné plus de besoins ou de convoitises que de moyens de jouissance ou d’instruction. En Russie, presque toute cette classe, partout la plus aigrie et la plus remuante, provient de la noblesse ou du clergé, sort des bureaux de l’État ou des séminaires de l’Église. Les étudiants qui aiment à faire miroiter aux yeux des ignorants un prochain âge d’or, débarrassé de la propriété et de la famille, sont pour la plupart des nobles ; les jeunes gens, qui distribuent à des paysans ou à des ouvriers des catéchismes révolutionnaires, sont presque