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crate à un étranger, je ne connais de grand seigneur chez moi que l’homme à qui je parle, et encore pendant que je lui parle. » Un Ivan ou un Vassili eût déjà pu tenir le même langage. En dehors de leur faveur souveraine, les tsars n’aimaient à reconnaître dans leurs sujets aucun avantage personnel, aucune supériorité de naissance. S’il demeura permis de tirer gloire ou profit des titres de ses ancêtres, ce fut du rang et des honneurs obtenus par ses pères à la cour du grand-prince. De là dérive une hiérarchie nouvelle, un ordre de préséance singulier qui, sous le nom de mésinitchestvo, est demeuré en usage aux seizième et dix-septième siècles.

À la cour moscovite, les préséances cessèrent de dépendre de l’origine et le rang du sang ; tous les sujets du grand-prince furent soumis à une commune mesure, le service de l’État. L’emploi, la place (mêsto) fut l’unique règle des prétentions et des titres de chacun ; mais, au lieu de classer seulement les individus, l’emploi classa entre elles les familles. En vertu du mésinitchestvo, un homme ne pouvait servir au-dessous de quiconque avait été mis sous les ordres de son père. Un pareil système devait à la longue aboutir à une sorte d’hérédité des offices. La dignité de boyar, la plus haute de l’ancienne Russie, tout en demeurant viagère en droit, tendait de fait à passer de père en fils[1]. Il en était de même de toutes les grandes charges ou fonctions. Pour constater le droit de chacun et les titres de chaque famille, il y avait des registres spéciaux, des livres d’états de service, appelés razriadnyia knighi.

  1. Selon l’historien Solovief (Istoriia Rossii, t. XIII), seize familles avaient reçu le droit de voir leurs membres entrer immédiatement parmi les boyars ; dans une quinzaine d’autres, on débutait par le rang d’okotnik, la seconde dignité moscovite. De ces maisons privilégiées, vingt portaient le titre de kniaz et descendaient de Rurik ou de Guédimine. Chez les autres familles, le fils entrait au service deux degrés au-dessous du grade obtenu par le père. S’il n’avançait point, le petit-fils commençait encore deux degrés plus bas, ce qui entraînait à la longue la déchéance de la famille.