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chez les Slaves de Novgorod et de Kief avec Rurik et les Varëgues du nord. De même origine ou de même race au début que les fondateurs de l’empire russe, la droujina était la réunion des compagnons du prince, du kniaz. De pareils compagnons ou associés se rencontrent presque partout, autour des chefs germaniques qui ont été les fondateurs des États modernes de l’Europe[1]. En Russie seulement, la droujina a conservé plus longtemps et plus fidèlement ses traits primitifs, et les circonstances n’en ont pas laissé sortir une féodalité. D’elle sont venus les boyars[2], titre qui se rencontre de fort bonne heure avec la signification de conseiller du prince, et qui, dans les premiers temps, semble n’avoir indiqué qu’un rang élevé dans la droujina.

Le caractère essentiel du droujinnik était d’être le libre compagnon, l’associé volontaire du prince ; il le servait, il le quittait à son gré, il demeurait maître de passer du service d’un kniaz au service d’un autre. C’est là le seul privilège, le seul droit du droujinnik, ou c’est le privilège qui pour lui était la sauvegarde de tous les autres : car, pour retenir autour de lui sa droujina et ses boyars, le prince était souvent obligé de les consulter et de déférer à leur avis. Ce droit de libre service, les boyars, héritiers de la droujina, le maintinrent longtemps. À Moscou même, sous les premiers grands-princes, il y avait pour cela une formule ; on disait : les boyars et les libres et volontaires serviteurs[3]. Le libre service et le libre passage d’un prince à un autre, qui en était la garantie, ne pouvaient durer qu’autant que durait le système des apanages et la division de la souveraineté. L’antique privilège de la droujina périt avec les derniers apanages, et, chose remarquable, ce droit de libre

  1. La droujina (de droug, ami] rappelle ainsi la truste des rois francs, et les droujinniki les antrustions.
  2. Dans la 1ère édition de cet ouvrage, nous avions donné à boyar, boïarine, le sens primitif de guerrier, combattant, de boï, combat ; mais, d’après mon savant ami M. L. Léger, la forme ancienne est boliarine provenant de la racine boli, meilleur. Cf. le latin Optimates.
  3. Boiaram i slougam volnyin volia.