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du droit d’aînesse qui, de peur de jeter la discorde parmi leurs enfants, n’osent choisir entre eux un héritier privilégié. Je connais un grand propriétaire, fort épris des institutions anglaises, qui, ayant trois fils et n’en voulant léser aucun, a constitué un majorât pour chacun des trois.

Malgré de tels exemples et les encouragements d’un certain monde, le majorat est demeuré en Russie une plante exotique, qui ne semble point appelée à une rapide propagation[1]. Telle qu’elle existe aujourd’hui, chez un nombre limité de familles dont les autres ne reconnaissent pas la supériorité, cette institution étrangère ne peut avoir les effets politiques, qui en d’autres pays en font la raison d’être. Il n’en subsiste guère que les inconvénients économiques et moraux, une partie de la fortune publique enlevée à la circulation, et l’opulence de quelques privilégiés mise artificiellement à l’abri du châtiment naturel de l’inconduite ou du vice. Privé, dans le plus grand nombre de ses membres, de toute protection légale contre la concurrence des autres classes, n’ayant pour rempart ni majorats ni droit d’ainesse, le dvorianstvo russe ne peut, par la concentration de la fortune et la perpétuité de la propriété, s’assurer l’autorité et l’indépendance héréditaires qui constituent les véritables aristocraties[2].



  1. Dans la Russie proprement dite, il n’y avait pas récemment, assure-t-on, 40 majorats. (M. Lioubanski, Iouriditcheskiia Monografii i Isledovonlia, t. IV, 1878, p. 13-18.) Dans les anciennes provinces polonaises, le gouvernement a lui même fondé, à l’aide des biens de la couronne ou de biens confisqués, de petits majorats de 2000 à 3000 roubles de revenu. Il y a là, manifestement, moins une intention aristocratique qu’un expédient politique. Le but est, en empêchant la vente des terres concédées à des Russes, de maintenir dans ces provinces un élément russe.
  2. On a, sous Alexandre III, proposé différents systèmes pour empêcher l’appauvrissement de la noblesse et l’émiettement de ses terres. Les uns ont demandé que les majorats fussent mis à la portée de toutes les fortunes ; les autres, que la loi s’opposât à l’extrême morcellement en créant des biens normaux indivisibles, Voy. p. ex. N. Baratynski : Nedelimye dvorianskié outchastki, 1888. M. Pobédonostsef, Rouskii Vestnik, sept 1889, a conseillé d’adopter le homestead américain, de permettre aux propriétaires de toutes classes de rendre les biens d’une certaine importance indivisibles et insaisissables en les faisant inscrire sur un registre spécial.