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clusif de la noblesse à la propriété des biens habités par des serfs. En mainte région de l’empire, le revenu des terres a longtemps augmenté si promptement, avec la population ou les moyens de communication, que souvent les propriétés doublaient, triplaient, parfois même décuplaient de valeur en vingt ou trente ans. De cette façon, il n’était nullement impossible qu’après s’être partagé l’héritage paternel, deux ou trois fils se trouvassent aussi riches que l’était leur père à leur âge. Les grandes fortunes ont, en apparence au moins, encore une autre raison : c’est que le partage n’a lieu qu’entre les enfants mâles.

Les fils, chargés de perpétuer la famille, s’en divisent les biens. Aux filles qui ont des frères vivants, la législation n’accorde qu’une part minime, un quatorzième de l’héritage paternel, des immeubles du moins. Souvent elles ne reçoivent que leur dot. Selon l’esprit des civilisations anciennes, une fille mariée et dotée est pour ainsi dire retranchée de la famille. Une fois coupé, dit un adage populaire, le morceau de pain n’appartient plus à la miche. Il est vrai que la dot, donnée aux filles, dépasse parfois la part qui leur serait légalement attribuée ; j’ai même connu des familles où les sœurs avaient reçu un lot égal ou supérieur au lot de leurs frères. Cette législation n’a pas du reste pour point de départ le dédain du sexe féminin ; la loi russe, si avare pour les filles, est à certains égards plus libérale pour la femme que notre loi française qui, dans les successions, fait d’elle l’égale de l’homme[1]. Si le code n’attribue à la fille qu’une faible part des biens de son père, la législation réserve à la femme, du vivant même de son mari, la libre jouissance et administration de ses propres biens. La femme mariée n’est jamais, comme chez nous, une mineure

  1. Un de nos anciens compatriotes alsaciens, aujourd’hui professeur à Lausanne, M. E. Lehr, nous a donné en 1877 une intéressante étude sur le Droit civil russe. On doit noter que l’empereur Alexandre III a, en 1882-83, chargé une commission de rédiger on projet de nouveau code civil, mieux adapté aux conditions de la vie moderne.