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meurée fidèle, les germes d’aristocratie tombés çà et là sur le sol ne pouvaient lever. Dans ces maisons princiëres du sang de Rurik et de Guédimine, comme chez la commune noblesse, il n’y a point d’aîné, point de chef de famille pourvu de droits particuliers. La fortune du père se partage également entre les fils, le titre paternel passe à tous indistinctement, et, comme c’est le seul bien qui ne soit pas réduit par des partages successifs, c’est souvent le seul héritage qui leur reste de leurs ancêtres. De là fréquemment l’avilissement d’un titre qui, tout en appartenant à peu de familles, peut appartenir à la fois à beaucoup d’individus. À force de se ramifler, plusieurs de ces familles princières, et parfois les plus illustres, ont formé comme un buisson touffu dont les branches enchevêtrées s’étouffent et se cachent les unes les autres.

Quelques-unes de ces maisons de kniazes, dont l’unité et la fortune ne sont maintenues ni par le droit d’aînesse ni par l’entrée des cadets dans l’Église, sont aujourd’hui de vraies tribus, de vrais clans n’ayant d’autre lien qu’un même nom. On compte, par exemple, trois ou quatre cents Galitsyne des deux sexes, et par suite plus d’une centaine de princes de ce nom, autant que de mâles. Dans ces nombreuses familles issues d’un même tronc, à côté des branches qui se déploient au soleil, florissantes et pleines de sève, il y a naturellement des rameaux privés d’air et dépouillés de feuilles. Au seizième siècle déjà, lorsque régnait encore la dynastie de Rurik, d’où la plupart sont sortis, Fletcher remarquait que beaucoup de kniazes n’avaient d’autre héritage que leur titre, sans rien pour le soutenir. « Il y en a tant dans cette position, écrivait l’envoyé de l’aristocratique Angleterre, que ces titres ne valent pas cher. Aussi voit-on des princes trop heureux de servir un homme de rien pour un salaire de 5 ou 6 roubles par an[1]. » Les siècles et la multiplication de certaines familles

  1. Fletcher, Russe Commonwealth, IX.