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nues, par la raison que chez eux il n’y avait jamais eu de féodalité, jamais de duchés ou de comtés, vassaux les uns les autres ou vassaux du pouvoir central. L’ancienne Russie ignorait toutes ces gradations de titres : à vrai dire, elle ignorait même les qualifications héréditaires ; par là encore le dvorianstvo russe différait entièrement des noblesses de l’Occident. Il n’y avait qu’une exception, et cette exception confirmait la règle : c’était en faveur des membres de la famille souveraine, en faveur des branches collatérales de la dynastie régnante.

Les descendants des kniazes, des princes apanagés, ont continué à porter le titre de prince après la réunion de leurs principautés au domaine de Moscou. Toutes les autres dignités ou distinctions, la qualité de boyar en particulier, étaient viagères et accordées directement par le souverain. Ce n’est qu’en se rapprochant de l’Europe et en s’annexant des provinces longtemps soumises à l’influence germanique, que la Russie s’appropria quelques-unes des dénominations nobiliaires issues de la féodalité. Elle eut ainsi des comtes et plus tard des barons ; mais, pour ces qualifications, il lui fallut emprunter des noms étrangers[1]. À l’imitation des monarques de l’Occident, Pierre le Grand et ses successeurs se mirent à conférer des titres héréditaires. Ces distinctions du reste n’ont pas été aussi prodiguées qu’ailleurs ; si l’on met de côté le grand nombre de familles portant des titres d’origine étrangère, elle sont même demeurées relativement rares. Une centaine de comtes[2], une quinzaine de princes et un peu plus de barons, ces

  1. Ainsi graf, comte. Le vieux titre de kniaz, prince, est seul slave et national. Je ne sais pourquoi nous traduisons par grand-duc et non grand-prince, l’ancien titre de veliki kniaz, jadis porté par les souverains de Kief, de Vladimir, de Moscou, et aujourd’hui attribué aux membres de la famille impériale.
  2. D’après une feuille russe, les Olgoloski (Échos, oct. 1879), il y aurait eu, de Doris Chérémélief en 1706 an général Totleben en 1879, 157 créations de comtes russes ; mais beaucoup n’ont pas laissé de postérité. L’empereur Alexandre II en a seul créé plus de vingt.