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la faculté, dont il use peu, de conférer la noblesse par gratification (jalovanié).

Le premier effet d’un tel système, c’est naturellement le grand nombre des nobles, et par suite, le peu d’aisance, le peu d’éducation, le peu de considération de beaucoup d’entre eux. Dans la seule Russie d’Europe, les statistiques donnent, pour le dvorianstvo héréditaire, environ 600 000 âmes, pour la noblesse personnelle et les petits employés, au moins 350 000[1]. Il y aurait là de quoi recruter une armée entièrement composée de nobles. En Angleterre, en Allemagne même, dans tous les pays où la noblesse a conservé un prestige politique ou seulement un lustre de vanité, le nombre des hommes qui en sont revêtus est beaucoup moindre. En Russie, la multitude des nobles fait qu’on en trouve partout, à tous les degrés de l’échelle sociale, dont ils sembleraient devoir occuper le faîte. C’est dans le sein du dvorianstvo, plutôt que dans la classe officielle des bourgeois, qu’il faut encore aujourd’hui chercher l’équivalent de notre bourgeoisie. « Qu’est-ce que votre noblesse ? demandait un de mes compagnons de voyage, à la table d’un juge de paix des bords du Volga ? — La noblesse, répondit le maître de maison, ce sont nos convives, c’est nous tous ici ». C’est là une réponse qu’on pourrait faire souvent en Russie et partout où se montrent des Russes à l’étranger. Les nobles, c’est tout ce qui n’est pas paysan, marchand ou prêtre, tous les gens que l’on rencontre dans le monde, tous les hommes de quelque éducation à la ville et à la campagne. À cet égard on pourrait encore presque dire : en Russie, la noblesse, c’est tout le monde.

Du fond obscur de cette plèbe nobiliaire se détachent naturellement un certain nombre de familles, les unes entourées d’une illustration qui se perd dans les ténèbres de l’ancienne Moscovie, les autres plus ou moins récemment mises en lumière par l’éclat des services. De telles familles,

  1. Statistitcheskii Vrémennik, 1871, 1873, 1879.